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Des travaux pour déconstruire les clichés

Charleroi, ville sale, capitale du training-basket, lieu de rencontre des chômeurs... Voilà bien des clichés que l'on peut avoir sur la ville. Pourtant, alors qu'elle se reconstruit depuis quelques mois, Charleroi veut prouver que cette vision pourrait être erronée et qu'elle a aussi des choses à offrir.

par Julie Capelle, Alessandra Cillario, Marise Ghyselings, Ludovic Uytdenhoef

Des travaux pour déconstruire les clichés

Charleroi est souvent considérée comme le Cœur noir de l’Europe, à tel point qu’on y dépeint presque uniquement la misère sociale qui y règne. La récente polémique autour du World Press Photo et des prises de vue de Giovanni Troilo est l’illustration parfaite de la vision que peuvent avoir les gens du Pays noir.

En mars dernier, Giovanni Troilo, photojournaliste, publiait une série de photos qui décriaient la misère sociale qui règne dans la ville de Charleroi, rongée par la pauvreté et le déclin industriel. Paul Magnette n’a pas tardé à réagir, jugeant que le travail de l’Italien représentait une « sérieuse déformation de la réalité qui porte préjudice à la ville de Charleroi et à ses habitants, ainsi qu'à la profession de photojournaliste ».

Une escroquerie symptomatique d’une vision générale

La démarche du photographe italien n’a pas fait réagir que les politiques. En effet, Xavier Canonne, directeur du musée de la photographie à Charleroi, a également son avis, plus nuancé, sur la question. « Photographier en ville est toujours une entreprise risquée puisque l’on peut être aisément taxé de trahir la réalité, à charge ou à décharge. L’on pourrait d’ailleurs se poser la question sur la notion de "réalité". Il y a des réalités dans une ville. Il est vrai que certains photographes ont parfois fait de Charleroi un "safari misère" mais c’est une des réalités de la ville. Dans le cas de Monsieur Troilo, ce n’est pas le fait que ses photographies soient mises en scènes qui est en cause, quelles que soient ses intentions, c’est que ses légendes mentent ou ne sont pas accordées avec ses photographies. La démarche est ici en cause plus que l’image. Car "photographier" Charleroi en réalisant des photographies à Bruxelles est plus qu’une erreur, c'est une escroquerie.”

Interviewée au sujet de la représentation systématique que l’on fait de Charleroi, parfois au risque de la tronquer, Marie-Isabelle Gomez, attachée de presse du bourgmestre de Charleroi, explique qu’aujourd’hui « Charleroi est le symbole de "quelque chose", comme de nombreuses autres villes symbolisent une série de phénomènes contemporains. Chicago à l’époque, c’était la mafia. C’est ce qui arrive à Charleroi aujourd’hui.”

Charleroi et son image négative, la faute à qui ?

Alors pourquoi les mauvais cotés de Charleroi font-ils tant vendre ? Pourquoi un photojournaliste professionnel est-il prêt à mettre son éthique de côté pour illustrer son propos au risque de modifier la réalité ? A qui reviennent les responsabilités ?

Aujourd’hui, un décalage semble se creuser entre les citoyens et les politiques de la ville. « Charleroi a effectivement beaucoup souffert des "affaires" déclenchées en 2005. Charleroi avait déjà une mauvaise réputation et cela l'a accentuée. A partir de 2005, l'acharnement médiatique d'une certaine presse à jouer un rôle important non seulement au niveau de l'image mais aussi dans la perception des Carolos par rapport à leur ville », regrette Marie-Isabelle Gomez.

Destruction des clichés

Le renouveau orchestré par la ville de Charleroi à travers ses nombreux travaux sont symptomatiques d’une volonté politique et citoyenne de faire changer les choses. De cette volonté de rompre avec cette image de ville noire, sale et post-industrielle.

Si, comme le fait remarquer Danny de Pelsser, architecte carolo, les solutions apportées ne sont pas toujours excellentes, la démarche et les intentions sont louables. “Charleroi est une ville avec un glorieux passé, fortement dégradée depuis trente ans. Les nouveaux chantiers redonnent pas mal d’espoir aux Carolos, lassés de la situation de la ville à laquelle ils sont fort attachés. Les solutions apportées sont tout de même partiellement critiquables. Il a manqué un débat au niveau de la destruction des Colonnades, notamment. On a été placés devant un fait accompli. Ceci dit, d’autres projets, en parallèle du projet Rive Gauche, sont très intéressants. Notamment le projet de la Porte des Arts, qui est très prometteur et qui mise sur la culture et la convivialité.”

La culture, selon Xavier Canonne, est un des secteurs clés. C'est lui qui doit contribuer à faire évoluer les mentalités et l’opinion qu’ont les citoyens de leur propre ville. « Charleroi ne se défendra jamais mieux qu’en se modifiant et en faisant valoir ses richesses, ses institutions culturelles, son passé, son patrimoine architectural. La culture est indéniablement le principal secteur de ce visage futur, ou en tout cas le plus visible. Charleroi est riche d’institutions qu’elle devrait mettre en valeur de façon plus marquée, ce qui passe par des moyens financiers augmentés. »

Finalement, le renouveau de la ville et l’image qui en découle passent à la fois par ces travaux de rénovation dans le centre-ville que par le travail conjoint entre les institutions culturelles, économiques et politiques. Marie-Isabelle Gomez résume d’ailleurs bien les démarches entreprises et les objectifs attendus. « Cette ville est en pleine transformation, en pleine mutation. On ne doit pas nier qu’il y a des problèmes sociaux. C’est la réalité. Mais à côté de cela, il y a une vraie énergie qui prend corps dans cette ville. Aujourd’hui, on a l’impression que cette stigmatisation est en train de faire naître un nouveau mouvement. Cela amène des artistes, des journalistes, une dynamique de réflexion et une redynamisation urbaine. C’est un ensemble de toutes les énergies de tous les secteurs qui provoque ce basculement."

Et d'ajouter : "Le rôle du politique, c’est de fédérer, de permettre les rencontres et de mettre en place des infrastructures publiques qui donnent envie au secteur privé d’investir. C’est ce que nous avons fait avec Phénix 1, qui a débouché sur Rive Gauche. C’est ce que nous faisons aussi avec les fonds Feder 2014-2020 pour rénover la ville haute. »

La ville de Charleroi a donc la ferme intention de changer son image et de rompre avec les codes établis. Et avec elle, ses habitants et ses acteurs socio-politiques ont une même volonté : celle de mettre en place une nouvelle ère et d’apporter un regard neuf sur le présupposé « cœur noir de l’Europe ».

« Y’a des barakis dans toutes les régions du monde »

Carolos et Barakis sont-ils synonymes ? Pour se défendre de ce préjugé, les habitants de Charleroi prennent la parole.

Charleroi la belle

Sasha, étudiante en première année à Bruxelles, est originaire de Nalinnes, dans la région de Charleroi. Sa mère est commerçante, son père avocat et ses sœurs ont déjà quitté la maison. Elle possède un petit chien nommé Ginger.

Sasha l’avoue, elle en a marre de la réputaiton de sa ville. « A Bruxelles, quand je dis que je viens de Charleroi, les gens reculent… Je sais que c’est pour rire, mais à la longue, c’est agaçant. Ils ne me croient pas quand je dis qu’il y a aussi des beaux coins à Charleroi. »

La maman de Sasha, Catherine, a été victime de la reconstruction de la ville. Elle est propriétaire d’un magasin de vêtements dans le centre de Charleroi, rue de Dampremy. A cause des travaux dans la ville basse, elle a dû vendre son ancien commerce. Celui-ci était dans sa famille depuis 65 ans mais les travaux lui ont fait perdre tous ses clients. Elle a dû passer d’un commerce de 400 m2 à son actuel de 100 m2. Catherine, déçue, essaie de trouver des points positifs à sa nouvelle position. « Au moins, maintenant, c’est plus calme. Je n’ai plus besoin de personnel. »

Sur demande de la police, Catherine a été obligée de cacher l’enseigne de son ancien magasin. Selon elle, la rue meurt à petit feu à cause des travaux. « Un ami tient un bar juste à côté du magasin, il m’a dit qu’il n’avait plus personne et qu’il allait bientôt devoir fermer. » Son frère tenait un restaurant au-dessus de son magasin. Il est à vendre également.