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Vue à partir d'un terril sur les rails de train
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Raconte-moi Charleroi

Le paysage de Charleroi se métamorphose. Travaux, nouveaux bâtiments ou encore quais tout neufs : aujourd'hui certains des habitants ne reconnaissent plus leur ville. Rencontre avec des Carolos contestataires.

par Paul HANOT, Camille PAGELLA, Arthur SENTE, Isabelle ZAWADZKA

Bar à Carolos

Il est 17 heures à Charleroi. Rue de Marchienne, dans la ville basse, le Bar des Anges et sa devanture rouge. Véronique, la patronne, est derrière son comptoir, son bar vient de rouvrir. Il a été déplacé de quelques mètres car le propriétaire de l’ancien bâtiment a décidé de vendre.

Aujourd’hui, c’est le jour de la réouverture. Les habitués sont là, les ouvriers terminent les derniers travaux. Véronique tient son bar depuis toujours. Avant, c’était un bordel, un bar à filles. Maintenant, il n’y a plus que des hommes qui s’y retrouvent l’après-midi. « Eexxx ! La vérité vient d’en haut ! » Youssef entre dans le bar, c’est sa façon de tous les saluer. Ils rigolent.

Aujourd’hui c’est jeudi, ils se retrouvent tous au Bar des Anges puis ils iront au Rockerill, une vieille usine transformée en boîte de nuit. Le grand barbu balèze derrière le comptoir, c’est Brian, le fils de Véronique. Il est tatoueur. Tous les jours, il aide sa mère au bar. Charleroi, il y a passé sa vie. Il ne pourrait pas vivre autre part. Quand il part, il a le mal de sa ville, il veut rentrer.

Leur histoire, c’est aussi celle de Bruno, de Nicolas, de Max, de Louis et de tous ceux qui sont dans ce bar. Ces Carolos, fiers d’être nés à Charleroi, ne partiront pas. Aujourd’hui, leur ville se métamorphose sans eux. Les nouvelles esplanades, les nouveaux quais, les nouvelles places, les centres commerciaux ont beau fleurir en ville, beaucoup pensent que ce n’est pas pour eux.

RAP-le-bol

Cette après-midi, dans le Bar des Anges, il y a aussi Louis. Il est agent de sécurité. Le Bar des Anges, il y passe plusieurs heures par semaine. Il y a un an et demi, Louis a fait un rap pour dénoncer les travaux qui défiguraient Charleroi.

Sa vidéo a été vue par plus de 60.000 personnes. Maintenant, au bar, il se fait chambrer, on l’appelle « la star », mais sa vidéo exprime une réelle exaspération. « Qu’est-ce qu’ils ont fait de ma ville ? » demande-t-il. Un jour, Louis est tombé dans un trou creusé pour les chantiers au milieu de la ville. Il a eu envie d’écrire.

Pour cette chanson, Louis est allé à la rencontre des Carolos. Des habitants pris au piège d’une évolution urbaine qu’ils ne contrôlent pas, qu’ils ne cautionnent pas toujours, mais sans rien dire, jamais. Le jeune rappeur a endossé un rôle. Celui de porte-parole d’un ras-le-bol partagé, celui de dire et d’expliquer que les Carolos ne seront pas forcément les grands gagnants de ces transformations. Depuis cette chanson, il a été approché par des partis politiques qui ont voulu le récupérer. Il n’en fut rien. Louis préfère être indépendant, continuer à écrire ses chansons, raconter sa vie, celle d’un Carolo.

gif chantier Charleroi

"Ce n'est pas pour nous"

Les contestataires du Bar des Anges ne sont pas seuls. D’autres osent dire ce qu’ils pensent de la métamorphose de Charleroi par des moyens détournés.

KéCrass Prod, c’est Patrick et Gaëtan, deux amis. L’un a 31 ans, l’autre 47. Leur truc à eux, c’est de faire des vidéos. Sans langue de bois et toujours avec humour pour parler de leur vie de Carolos. Ils ne se considèrent pas comme des artistes, loin de là. Ils assument leur vrai discours politique anarchiste, antifasciste et antiraciste.

Charleroi a changé, ce n’est plus la ville dans laquelle ils aimaient vivre. « A quoi ça sert toutes ces transformations ? A qui ça profite ? » Les deux hommes se posent la question et la posent à tous ceux qui regardent leurs vidéos. Toujours avec humour.

Il y a 25 ans, Charleroi n’était pas comme ça. Patrick nous désigne la place presque déserte où nous nous trouvons. « C'était rempli de cafés, de bars. Tout le monde se retrouvait ici, on faisait la fête. Personne ne se bagarrait, ou une fois par mois, pas plus ! »

La fermeture des magasins de la rue de la Montagne et les rues qui se vident les désolent. Eux aussi pensent que cette métamorphose urbaine n’est pas faite pour eux. « A quoi ça sert tous ces magasins de luxe dans le passage de la Bourse ? C’est pas pour nous. » Ne voient-ils donc aucun point positif dans toute cette transformation urbaine ? « Oui, maintenant je vais pouvoir bronzer sur les bords de la Sambre ! » répond Patrick.

Aujourd’hui, les deux compères ne sortent plus en ville. La gentrification qu’est entrain de connaître Charleroi conduira la ville à perdre ce qu’elle a de profond, ce qu’elle est, son identité. C’est ce qu’ils pensent. « Nous sommes des enfants d’ouvriers, on ne peut pas l’oublier ! » Parce que c’est aussi ça Charleroi. Alors Patrick et Gaëtan font des vidéos. Pour montrer d’où ils viennent et puis pour rigoler, surtout.

Ça a toujours été baraki, mais avec les moyens. Maintenant, il n'y a plus de moyens... Maintenant, on pleure.

Carolos pour toujours

Qu’ils se considèrent artistes ou pas, avec ou sans action politique, ces Carolos sont prêts à dire ce qu’ils pensent avec les moyens qu’ils ont.

Chacun a son mot à dire, son avis quant à cette transformation urbaine, qu’ils trouvent surfaite. Une métamorphose urbaine alors que la ville a bien d’autres chats à fouetter, d’autres problèmes dont il faut s’occuper prioritairement. Bruno, Louis, Patrick et les autres sont Carolos au plus profond d’eux-mêmes et le revendiquent. Cette ville, ils ne la quitteront pas, on continuera à les croiser au Bar des Anges, au Café des Huit Heures, rue de la Montagne.

Ils seront là pour raconter Charleroi.

Sous un pont de Charleroi