80 projets législatifs européens à la trappe Retour au bruxelles bondy blog
photo de la commission européenne
Bruxelles Bondy Blog

80 projets législatifs européens à la trappe

Le choix de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, d'abandonner 80 projets de loi n'est peut-être pas si innocent : le social et l’environnement s'en retrouvent sacrifiés.

par Céline Emmerechts, Lola Goffin, Maria Haase Coelho et Nora Römer

Introduction

Le 16 décembre dernier, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, annonçait lors d’un débat au Parlement européen l’abandon de 80 projets de loi. Il a répété qu’il « souhaitait une Union européenne qui s’occupe des grandes choses et pas des petites ». Nous nous sommes penchées sur trois propositions de loi qui ont été retirées du programme : la directive sur l’économie circulaire, celle sur la qualité de l’air et la directive sur les congés de maternité.

La décision de les abandonner a provoqué une levée de boucliers. D’autant plus que ces directives étaient mentionnées dans une lettre secrète de Business Europe, le lobby du grand patronat européen, à la Commission dans laquelle cette organisation listait une série de propositions qu’elle voulait voir supprimées du pipeline législatif. Les projets de loi concernant l’environnement et l’égalité entre les hommes et les femmes étaient particulièrement visés.

Avant de lire l’article, il est utile de savoir comment une proposition de directive est votée au niveau européen :

Victime n°1 : le congé de maternité

En 2010, la Commission européenne a lancé une proposition de directive portant sur le congé de maternité. Concrètement, elle souhaitait allonger celui-ci de 14 à 18 semaines afin de faciliter la vie aux femmes qui souhaitent avoir des enfants. Ceci, dans le but de faire face au défi du vieillissement de la population européenne. Cette proposition a été envoyée au Parlement européen qui, après deux ans de négociations, a conclu un texte plus ambitieux et progressiste que celui proposé par la Commission. En effet, le Parlement européen voulait un allongement du congé de maternité à 20 semaines (mères adoptives incluses) au lieu de 18, plus un congé de paternité de deux semaines minimum. Après, cela a été au tour du Conseil des ministres de l’Union européenne (composé des gouvernements nationaux) de se concerter sur le sujet. Mais le Conseil a bloqué la proposition depuis déjà deux ans et refuse de la mettre à l’ordre du jour.

En décembre 2014, la nouvelle Commission européenne sous la direction de Jean-Claude Juncker a annoncé qu’elle allait retirer cette proposition. Pour cause : quatre ans de négociations sont restées sans issue. À la suite des vives protestations du Parlement européen, M. Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, a lâché une petite concession. Finalement le Conseil pourra disposer de six mois supplémentaires, jusque juin 2015, pour trouver un accord.

Pourquoi les gouvernements nationaux bloquent-ils ce projet de directive ?

Christian Wigand, porte-parole des affaires sociales de la Commission européenne, attire l’attention sur le fait que les systèmes de congé de maternité diffèrent d’un État à un autre. Cette différence d’approche compliquerait les négociations. Officiellement, le Conseil juge le projet trop coûteux vu le contexte de crise économique. Clairement, cette proposition n’est pas une priorité.

Cet avis est contesté du côté du Parlement européen. Selon Emmanuel Foulon, membre de l’équipe de l’eurodéputé belge Marc Tarabella (Parti socialiste), en réalité les gouvernements nationaux refusent tout simplement de se réunir autour d’une table pour discuter du sujet.

Le Parlement européen scandalisé

Nombre de députés ont exprimé leur indignation face à la décision de la Commission de retirer cette directive et surtout face au blocage du Conseil. Emmanuel Foulon déclare : « Je trouve ça scandaleux. Il y a quand même 250 millions de femmes en Europe. Je trouve que la réponse du Conseil est très moyenne. Nous sommes scandalisés. » Il va plus loin encore : « les gouvernements nationaux jouent un très sale jeu. » Néanmoins, il continue à espérer que le Conseil réponde aux appels incessants du Parlement d’ici juin.

Et la Commission dans tout ça ?

Quant à lui, le porte-parole de la Commission, Christian Wigand, tient beaucoup à améliorer les conditions de congé de maternité et continue à jouer le rôle de médiateur dans cette affaire. Si les États européens ne s’accordent effectivement pas sur le congé de maternité, la directive sera alors abandonnée pour faire place à une nouvelle. Celle-ci prendrait compte des évolutions survenues dans les différents pays membres depuis la première proposition de directive en 2010. Emmanuel Foulon, par contre, voit les choses différemment : « S’il n’y a pas d’accord en juin, ce sera définitivement abandonné. La Commission pourra amener un nouveau projet, mais ça durera de nouveau très longtemps… »

Qu’en pensent les mamans ?

Deux jeunes mamans ont partagé avec nous leur vision des choses. Émilie a bénéficié des 15 semaines légales de congé de maternité légale en Belgique, une période qu’elle considérait suffisamment longue. Par contre, le père n’avait eu droit qu’à dix jours, ce qu’Émilie juge trop peu. Même point de vue pour Natasha. Cette dernière trouve le congé de paternité beaucoup trop court. Son compagnon avait obtenu moins de deux semaines de congé de paternité.

A l’évidence, le législateur européen devrait accorder une priorité à l’allongement du congé de paternité qui est encore loin d’être suffisant.

Victime n°2 : l’environnement

Dans l’Union européenne, les dommages causés par la pollution atmosphérique ne sont pas uniquement matériaux ou environnementaux, ils sont aussi humains. En 2013, la Commission européenne a évalué à 400.000 le nombre de personnes qui décèdent prématurément à cause de la mauvaise qualité de l’air. Elle a dès lors proposé une série de mesures sous la forme d’une proposition de directive pour améliorer l’air que l’on respire en Europe.

En plus de sauver des vies, ces nouvelles règles, si elles étaient adoptées, pourraient également bénéficier à l’économie. Alors que la mauvaise qualité de l’air coûte entre 330 et 940 milliards d’euros par an à l’Union européenne, ces mesures permettraient d’économiser entre 40 et 140 milliards d’euros et même d’engranger environ 3 milliards d’euros de bénéfices et la création d’environ 100.000 emplois.

chiffres sur les problèmes environnementaux en Europe

En juillet 2014, une proposition de directive concernant l’économie circulaire dont le but est d’augmenter l’efficacité énergétique, rendre le recyclage plus systématique et renforcer les règles sur l’incinération et les décharges, avait également été mise sur la table. Ces mesures prévoyaient la création de 2 millions d’emplois, 600 milliards d’euros d’économie ainsi qu’une croissance de 1% du PIB européen.

Que des avantages donc ! D’où la surprise de voir la Commission faire marche arrière. En effet, en décembre 2014, la Commission a annoncé l’abandon de ces projets de lois.

Suite à cette décision, le Parlement, plusieurs gouvernements et une série d’ONG (WWF, Les Amis de la Terre, Respire...) ont fait entendre leur mécontentement. Sous la pression, la Commission européenne a cherché à calmer le jeu affirmant que ces projets ne seraient pas abandonnés mais simplement postposés en les présentant sous une nouvelle forme.

Pourquoi alors la Commission n’a-t-elle pas d’emblée modifié ces propositions plutôt que de les annuler ? On aurait gagné un temps fou. Le retrait de ces deux propositions de loi semble donc relever d’une grande absurdité.

Philippe Lamberts, eurodéputé du groupe des Verts, nous a livré son explication : en enlevant ces projets du pipeline législatif, la nouvelle Commission européenne entend réduire le rôle du Parlement européen en lui soumettant un minimum de législation. Pour l’eurodéputé, l’objectif de Juncker et de son équipe est « de mettre en place un programme de dérégulation large ». Selon lui, cette idéologie libérale n’est pas seulement portée par les libéraux, mais aussi par les conservateurs chrétiens démocrates et par certains sociaux démocrates en la personne de Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission.

Conclusion

Ces retraits de projets de loi prouvent l’omniprésence des lobbies au sein de la Commission européenne. Celle-ci serait en effet plus encline à les écouter au détriment de valeurs essentielles telles que l’égalité entre les femmes et les hommes, la santé ou encore les questions relatives à l’environnement.

"Cependant, un moyen puissant pour renverser la situation est la contestation populaire. Le Parlement européen notamment a tendance à être attentif aux réclamations des citoyens. Il n’est pas rare qu’un parlementaire s’approprie une cause et la mette à l’ordre du jour. Cette contestation peut également faire pression sur les gouvernements nationaux : élus par les citoyens, ils ont le devoir de les écouter." Emmanuel Foulon