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Les instituteurs dans l'enseignement spécialisé sont-ils assez formés ?

Pour devenir instituteur dans l’enseignement spécialisé, un diplôme pour l’enseignement ordinaire suffit. Des formations spécialisées complémentaires d’un an existent, mais elles sont facultatives. Les enseignants spécialisés sont-ils suffisamment qualifiés ?

par Claire Sadzot

« C’est quelque chose qu’on a dans le corps,
on doit aimer »

Être instituteur spécialisé, cela ne s’improvise pas. Fabienne Jammaers s’occupe d’enfants du type 1 (retard mental léger) et du type 8 (troubles de l’apprentissage) depuis trente ans. Elle est passionnée par son travail.

« C’est quelque chose qu’on a dans le corps, on doit aimer. Si on sent que ça n’accroche pas, il faut partir tout de suite » précise-t-elle. Pour elle, enseigner aux enfants en difficulté est bien plus qu’une histoire de diplôme. « On s’adapte à tout. Il faut avoir le courage de se répéter et ne pas culpabiliser si ça ne va pas. Parfois, l’enfant ne comprend vraiment pas quelque chose, mais tu continues quand même. Tu te dis ‘peut-être qu’un jour il y aura une étincelle’ », sourit-elle.

Témoignage : Fabienne Jammaers


Contrairement au fonctionnement des écoles primaires ordinaires, l’instituteur spécialisé ne se retrouve pas seul face à sa classe du début à la fin de l’année. Les écoles fonctionnent systématiquement en équipe. L’éducation ne repose donc pas entièrement sur les épaules du titulaire de la classe. « Quand on rencontre un problème avec un enfant, l’équipe est là pour soutenir, pour parler de la formation qu’il a faite, prêter un livre, etc. Chacun dans son domaine a ses spécialités et tout le monde est là pour les enfants. Il y a tout le paramédical et la direction », détaille Isabelle Slota, la directrice de l’école spécialisée La Glandée à Seraing. Elle pense que le métier s’apprend sur le terrain, au contact des enfants et des collègues.

Aucune formation spécifique
pour les enseignants ?

En Belgique, la seule filière possible pour devenir enseignant spécialisé est l’école normale. Il n’existe aucun bachelier qui vise directement le spécialisé. Cependant, la particularité de l’enseignement spécial réside dans l’individualisation des cours. Les enseignants ont en moyenne quatre à cinq élèves dans leur classe.

Dès lors, l’instituteur peut s’adapter à chacun et suit des formations en fonction des élèves qu’il accueille dans sa classe. « On est obligé de faire six demi-journées de formation par an. Ce sont les enseignants qui choisissent. On fait en fonction de l’enfant que nous avons et notre sensibilité », explique Isabelle Slota. Ces formations en cours de carrière permettent aux instituteurs d’approfondir leurs compétences pour des cas spécifiques. Par ailleurs, les étudiants de l’école normale sont contraints de réaliser au moins un stage dans une école spécialisée lors de leur troisième année de formation.

Patrick Malcotte, secrétaire du Conseil Supérieur de l’Enseignement, est convaincu que la filière actuelle du bachelier d’école normale en trois ans suffit pour enseingner dans le spécialisé. Cependant, il doute de l’efficacité des stages à l’école spécialisée, qu’il trouve trop courts. « Dans cette troisième année, il devrait exister des modules ou des cours à crédits qui permettent d’avoir une vision un peu plus fouillée de l’enseignement spécialisé » reconnaît-il. Les stages ne durent en effet qu’une à deux semaines, et l’étudiant n’y est pas toujours actif. « Ce n’est pas un stage de deux semaines dans l’école normale qui va nous permettre de dire si on veut y travailler ou pas », ajoute Isabelle Slota.

Un diplôme de spécialisation
pas valorisé pour la nomination

Il existe cependant une formation complémentaire pour se préparer au métier. Condorcet dans le Hainaut, HELmo à Liège et Defré à Bruxelles sont autant de hautes écoles proposant une année de spécialisation en orthopédagogie. Ces formations visent les futurs enseignants dans le spécialisé, mais pas uniquement. Elles sont ouvertes à quiconque désire entamer une quatrième année après son bachelier afin de se spécialiser.

« On apprend à voir la personne dans sa globalité. C’est un sujet qui ne vit pas qu’à l’école, qui a une histoire avant et après. Les actions qu’on va mener avec lui s’inscrivent dans un projet de vie. Ce qu’on fait en orthopédagogie, je pense que tous les enseignants devraient le suivre, ça c’est sûr » clarifie Isabelle Montulet, la coordinatrice de l’année de spécialisation en orthopédagogie à l’HELmo. Les titulaires de ce diplôme sont souvent valorisés à l’embauche. Cependant, ils ne sont pas prioritaires pour être nommés dans l’enseignement spécialisé face à un autre candidat qui n’a pas ce diplôme.

Olivier Laruelle, le porte-parole de la ministre de l’Education Joëlle Milquet, explique que cette quatrième année de formation n’est pas obligatoire car elle risquerait de décourager les futurs enseignants du spécialisé. « Cette formation est facultative parce qu’on veut être sûrs qu’il y ait des candidats pour le spécialisé. Tout le monde n’est pas motivé pour faire une quatrième année » estime-t-il.

La pénurie d’enseignants, qui a lieu aussi bien dans l’ordinaire que dans le spécialisé, soulève aussi des inquiétudes. Par manque d’effectifs, certaines écoles sont obligées de faire appel à des remplaçants qui ne sont pas attirés par l’enseignement spécialisé. « Il y a des gens qui sont là parce qu’ils se sentent obligés, mais bien souvent s’ils n’ont pas la petite flamme ou la motivation, ils ne restent pas » nuance Patrick Malcotte.

Une affaire d’envie et de motivation


Patrick Malcotte précise que le taux d’abandon de carrière par les enseignants n’est pas plus élevé dans l’enseignement spécialisé que dans l’ordinaire. D’autre part, l’enseignement spécialisé et ordinaire se complètent. Isabelle Slota pense que les enseignants ont tout à gagner à faire des allers et retours entre les deux types d’écoles. « Il faut mettre de l’un dans l’autre. Le diplôme spécialisé et rester toute sa vie dans le spécialisé, moi ça me fait peur. Ça créerait des ghettos entre les profs » remarque-t-elle. Le métier d’enseignant spécialisé serait donc plutôt une affaire d’envie et de motivation, encadrée par les six demi-journées annuelles obligatoires de formation. « Il faut une sensibilité tout à fait différente. Accepter de se dire qu’il y a des enfants extraordinaires et qu’il faut faire des choses extraordinaires avec eux » sourit-elle.

L’enseignement spécialisé pour qui, pourquoi ?

Les écoles primaires spécialisées permettent aux enfants rencontrant des difficultés de s’épanouir et d’évoluer à leur rythme.

Elles accueillent huit types d’enfants en difficulté. Les retards mentaux légers, modérés ou sévères ainsi que les troubles de l’apprentissage représentent 79% de la population scolaire de ce type d’établissement. On y retrouve d’autre part les troubles du comportement, les déficiences physiques, les maladies ou convalescences, les déficiences visuelles et auditives et les troubles de l’apprentissage.

Les classes ne sont pas organisées en fonction de ces troubles, mais plutôt du niveau de l’élève. « On ne fait pas attention à ce qui est écrit sur le papier, mais plutôt à l’enfant lui-même et à son niveau. On essaye de tirer l’enfant le plus loin possible dans sa scolarité », commente Isabelle Slota. Depuis 2003, le nombre d’élèves dans l’enseignement primaire spécialisé a connu un bond sans précédent. Il a augmenté de 14,7%, passant de 15.046 élèves à 17.257 en 2013. « Dès qu’un enfant ne suit plus dans l’enseignement classique, il est directement orienté vers le spécialisé alors qu’il pourrait très bien suivre avec un soutien à côté », déplore Isabelle Slota, qui estime que la forte hausse du nombre d’élèves dans le spécialisé est aussi due à la dégradation du niveau socio-économique des familles.

Les différents types de troubles expliqués par Isabelle Slota