“La Terre, c’est elle qui nous fait vivre. Le monde est un être vivant. Rien ne vaut son chez soi, c’est là où sont les habitudes”. Ce sentiment est vécu par l’une de ces rares personnes à avoir refusé l’ordre d’évacuer Tomioka, village situé dans la zone autour de la central nucléaire de Fukushima. Dans « La Terre abandonnée », l’individu est au centre, tout comme la nature qui l’entoure. L’histoire s’ouvre sur la végétation qui a repris ses droits, les maisons abandonnées, les photographies laissées. Gardiennes des lieux, ces traces du passé nous observent, le temps d’un instant.
Au cœur des lieux interdits
Avec ce film, nous rentrons dans l’intimité de ces « originaux », comme certains les surnomment. Ils en rigolent même. Matsumura san, qui vit avec son père, s’occupe des animaux abandonnés au lendemain de l’accident nucléaire. Radioactifs, ils ne pouvaient pas être emportés. La famille Hangaï, elle, continue de cultiver leur terre, tandis que les Sato sont persuadés qu’un repeuplement est possible. Dans l’espoir d’y retourner un jour, ils rénovent leur maison délaissée. Dans ces lieux interdits, des bénévoles s’aventurent pour décontaminer les sols. Jour après jour, ils récoltent les plantes et terreau dans des sacs qui s’entassent le long de la route.
La dernière empreinte de Gilles Laurent
Par l’image et le son, cette zone morte est décrite avec beaucoup de vie. Rythmées par les travaux de décontamination, les journées des habitants se déroulent de façon paisible. Un compteur Geiger à la main, ils vaquent à leurs occupations tout en vérifiant le taux de rayonnement qui les transpercent de façon invisible, heure par heure, minute après minute. Une œuvre où le réalisateur s’efface pour nous permettre d’observer de véritables scènes de vie. Même dissimulé derrière la caméra, il reste présent dans son propre style. Arrivent alors des plans fixes aux images recherchées, des sons d’ambiance précis et envoûtants, et un montage qui laisse le temps au spectateur de contempler ce dernier chef-d’œuvre . Ce documentaire, remplit d’humanité, est signé Gilles Laurent. Régisseur son d’abord, réalisateur ensuite, il nous livre ici son ultime témoignage avant de périr dans les attentats de Bruxelles, le 22 mars dernier.
Rester est un choix
Sur cette terre, ceux qui sont restés ont très peu changé leurs habitudes. Ils continuent de cultiver, de s’occuper des animaux, d’aller aux cimetières pour rendre hommage ou de regarder les nouvelles à la télévision. Rester est un choix. Conscients de la situation, ils perdront des années de vie. Mais ils préfèrent les vivre sur leur terre abandonnée… ou pas vraiment.