À la Spitalfields City Farm, on cultive le lien social
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À la Spitalfields City Farm, on cultive le lien social

À la Spitalfields City Farm, on cultive le lien social

par Olivier Nélis, Mathieu Neuprez et Ludovic Uytdenhoef
21 octobre 2016

Dans la casserole se mélangent harmonieusement curry, coriandre, riz et autres saveurs aux accents indiens. À quelques mètres de là, accroupis autour des potagers de la SpitalFields City Farm, se mêlent bien d’autres cultures.

Spitalfields City Farm

Loin du calme de la campagne, les animaux restent stoïques malgré le bruyant passage du métro londonien.

« C’est dans cette rue que se retrouvent les filles de petite vertu une fois la nuit tombée. » Nous sommes dans le quartier d’Aldgate East, réputé être l’un des plus difficiles de Londres, où pauvreté et criminalité sont quotidiennes. Cependant, ce quartier multiculturel de l’est de la capitale anglaise abrite une ferme urbaine : la Spitalfields City Farm.


Le lieu a quelque chose d’intrigant. En contrebas du célèbre métro londonien, les gratte-ciel de la City en toile de fond, les bruits urbains habituels sont ici couverts par des animaux qui meuglent, grouinent, cancanent, bêlent.

La Spitalfields City Farm a vocation éducative depuis sa création, il y a 37 ans. Sa spécificité : placer les migrants au centre de ses activités. Des « clubs » d’immigrés de nombreux horizons viennent y trouver de quoi cultiver les légumes de chez eux, mais pas seulement. « C’est un moyen de se retrouver, avec la même culture, la même langue, sans se sentir forcé ou poussé d’aller à la rencontre des autres », explique Emily, l’une des quatre jardinières employées à temps plein de la ferme.

Partager des histoires de vie
C'est grâce à sa bonhomie naturelle que Richard met à l'aise les réfugiés de la ferme.

Sarah, 70 ans, a échappé à trois tentatives de meurtre en Afrique du Sud, dans sa lutte pour les droits de la femme. Une réfugiée avec une histoire, comme tant d’autres à la Spitalfields City Farm. Bacelia a fui le Zimbabwe il y a quinze ans avec son mari. Ils étaient tous deux membres du parti d’opposition. Un jour, pendant un voyage en Europe pour rendre visite à leur fille, ils ont appris que leur entreprise avait été incendiée. Pour elle, la magie de cette ferme réside dans l’enrayement de l’isolement des migrants, fraîchement arrivés et perdus dans la métropole anglaise, qui ne savent pas à qui parler. « On échange nos graines et nos conseils et, ce faisant, nous partageons bien plus : nous partageons nos histoires en même temps que notre nourriture. »

 

  • Spitalfields city farm
    Le regard fuyant, Bacelia raconte comment son mari et elle ont été obligés de quitter le Zimbabwe.
  • Spitalfields city farm
    Bacelia a réussi à faire pousser du kale, une spécialité zimbabwéenne.
  • Spitalfields city farm
    Bacelia et son mari ont dû fuir le jardin de leur propriété zimbabwéenne pour le balcon d'un petit appartement londonien. La ferme constitue à leurs yeux le jardin qu'ils ont perdu.

 

Richard, qui encadre ce groupe, fait part de son expérience personnelle avec les réfugiés qui ont parfois un passé trouble, difficile à appréhender : « J’ai appris à ne pas poser trop de questions. Ils viennent ici pour parler de petites choses. » Au-delà, les réfugiés y viennent pour s’occuper, puisque la législation leur interdit d’avoir un travail lorsqu’ils arrivent.

Le banquet de Luftun
Prenez vos distances avec l'image et vous verrez apparaître l'emblème du Coriander Club.

Ici, pots d’échappement et odeur de cochons – qui sont au nombre de deux, Holmes et Watson, so british – s’entremêlent et emplissent les poumons. Notre nez, lui, retient surtout le fumet épicé du curry qui mijote en attendant l’heure du repas, grand moment de rencontre de la Spitalfields City Farm. Aujourd’hui, c’est Luftun qui orchestre le banquet. C’est un peu la grand-mère de la famille. Arrivée en Angleterre il y a 37 ans, elle est la fondatrice du « Coriander club », dont l’objectif était à l’origine d’adapter la culture de légumes de son Bangladesh natal au climat anglais. Mission réussie ! Les graines de Lutfun sont présentes aux quatre coins des îles britanniques, mais l’essentiel n’est pas là. « Plus que de retrouver des produits de notre pays d’origine, c’est le social qui est important. J’emmène parfois les filles du club dehors, on sort ensemble, on va dans des musées, au cinéma… »

  • Les produits cuisinés par Luftun sont issus exclusivement du potager de la ferme. Aujourd'hui, c'est le Bangladesh qui est mis à l'honneur.
  • Le pull est le seul élément qui différencie les migrants des fermiers.

L’attrait de cette initiative tient avant tout à la mixité sociale. Richard, crâne rasé, « farmer » inscrit en lettres capitales sur sa veste, revient tout juste d’une salissante matinée de bêchage. En retirant ses gants, il insiste lui aussi sur le lien que crée l’endroit : « Ils oublient qu’on est anglais, les gens se mélangent beaucoup à l’intérieur des groupes. C’est un espace vraiment, vraiment bénéfique. » Le partage est le mot d’ordre de ce lieu, qui permet à des communautés qui s’ignorent souvent d’interagir et d’échanger. On y vient pour s’intégrer, pour oublier les difficultés aussi.

Être utile à la communauté
À la Spitalfields City Farm, la transmission se fait dès le plus jeune âge.

En offrant un espace pour cultiver les légumes, la Spitalfields City Farm permet à chacun d’être utile et de se mettre au service de la communauté, chacun selon ses propres compétences. « Certaines femmes viennent de villages où elles se sont mariées à 14 ans, elles arrivent ici et ne travaillent pas. Mais mettez-les dans un champ deux heures, elles auront tout planté et elles auront même commencé à cuisiner quelque chose ! »

Migrants économiques ou réfugiés politiques, anglais, zimbabwéens ou turcs, ici pas de distinction. Tout le monde est jardinier.

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