L’art de s’intégrer
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L’art de s’intégrer

L’art de s’intégrer

par Nicolas Claise, Julien Decuyper, Maxime Goudeseune et Quentin Vanderstichelen
21 octobre 2016

Face à la crise de l’accueil des réfugiés que traverse actuellement l’Europe, certains Londoniens, conscients de leur histoire, ont une approche artistique qui favorise l’implication et l’expression des migrants.

immigration-art-londres« Vous savez, nos plus grandes fiertés sont les œuvres des migrants », avance Tom Green. L’administrateur de Counterpoint Arts, une association qui promeut l’intégration des migrants par la culture, entend remettre cet honneur au goût du jour. L’objectif : motiver les nouveaux arrivants à poser leurs empreintes dans le paysage culturel anglais. Depuis son QG situé dans la banlieue nord de Londres, Counterpoint Arts a monté un véritable réseau d’artistes immigrés, destiné à faciliter leur intégration à travers l’art.

Peindre ou manger ?

L’association a compris que manger et se loger n’étaient plus les seules priorités. S’exprimer et partager des émotions sont des activités tout aussi primordiales. « Des études montrent que les gens ont vraiment besoin d’art et de musique, bref de culture, même en temps de guerre ou dans des zones de conflit. Faire de l’art, c’est aussi se projeter dans le passé et faire une introspection de sa vie. C’est d’autant plus le cas lorsque l’on a vécu des événements majeurs. On essaye d’y apporter un sens », rappelle Tom Green.

Sur les traces de leurs traumatismes
susan (CC BY-NC-ND 2.0)

Edin Suljic, poète yougoslave, est arrivé en Angleterre en 1991. “À 25 ans, je sentais que la guerre allait gronder dans mon pays. J’ai rassemblé le peu d’économies qu’il me restait et j’ai réussi à tout quitter. Les frontières n’étaient pas aussi contrôlées que maintenant et pourtant, mon voyage m’a paru interminable. Je suis arrivé à bout de force au Royaume-Uni. J’étais littéralement à genoux, les mains sur le sol.”

Les premiers mois de l’artiste, désormais réfugié dans la City, ont été difficiles. Le poète est brisé physiquement et mentalement. Sans repères. « Être considéré comme réfugié alors que je suis Yougoslave était nouveau. Je n’avais même pas postulé car je me demandais toujours « ce qui faisait de moi un réfugié ?” Peut-être que je refusais de voir la réalité. Je ne sais pas. »

Edin tente de trouver des réponses à travers l’art quelques semaines après son arrivée. Il organise quelques ateliers de rue où il invite les gens à marcher sur les mains. Un clin d’œil à sa situation. Il obtient des donations et tente de se faire connaître dans la communauté yougoslave de Londres, mais rien de significatif. “J’étais déprimé en permanence car je ne parvenais pas à retrouver les sensations que me procurait l’art auparavant. J’ai fait transparaître ce lourd poids à travers mes poèmes.”

La Guerre des roses, par Edin Suljic


Edin Suljic, poète à Londres

Edin Suljic, poète yougoslave. DR

Autrefois, j’avais un jardin de roses.
J’appréciais leurs odeurs et leurs formes
Beaucoup de passants s’arrêtaient en chemin pour s’incliner devant leur beauté
Jusqu’à ce qu’une nuit, un glissement de rochers ne détruise mon jardin,
Faisant ainsi tomber tous les pétales de roses sur le sol.
Sur les ruines de leurs odeurs, j’ai reconstruit un jardin en l’entourant d’un mur.
Les passants me dirent : « Nous t’aiderons à construire un mur plus grand et plus solide. » Et ils le construisirent.
Ils envoyèrent des gardiens pour surveiller mon jardin,
le protégeant ainsi des rochers et d’autres dangers.
Beaucoup plus d’étrangers vinrent alors de partout pour offrir leur admiration à ce royaume de beauté.
« Nous voulons les protéger aussi », dirent-ils aux gardiens. « Nous voulons être près d’elles et profiter de leurs pétales. »
« Non », dirent les gardiens. « Nous seuls pouvons garder cette beauté. »
Les autres dirent : « Ils nous appartiennent autant qu’à vous.
Pourquoi nous les cacher ?
»
Et c’est ainsi que la guerre des Roses éclata.
En colère, ils détruisirent mon jardin.
J’ai donc commencé à cultiver mon propre jardin en moi-même.
Il est imprégné de l’odeur et des couleurs de mes roses.
J’ai depuis rencontré bien d’autres personnes ayant aussi un jardin intérieur.

L’écriture de ses poèmes et la reconnaissance de son travail par les artistes londoniens ont fortement contribué à son épanouissement. « Bien que chaque réfugié ait une histoire unique, on peut quand même observer des similitudes dans leurs parcours de vie. L’art et la créativité qui en découle permettent aux gens de partager leurs expériences. C’est une occasion de donner une interprétation de ce qu’ils ont vécu et de la partager. Ce processus peut prendre des années. C’est ce qui rend la culture aussi importante, elle agit comme une sorte de thérapie », confie Tom Green.

The Krah. DR

Dimitrie, peintre grec connu sous le pseudonyme “The Krah” (cf. photo d’accueil), explique lors du vernissage de sa dernière exposition que l’art peut également être une échappatoire économique. « Bien sûr, il y a d’abord la qualité de l’œuvre qui importe. Mais cela dépend aussi de la situation de l’artiste. S’il vient d’une zone dévastée par exemple, il aura de meilleures chances d’exposer. Il aura une très bonne publicité s’il vient d’une région très instable. »

 

  • Art des réfugiés
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Cet ancien artiste de rue avance le double intérêt de ce processus : “Si j’avais une galerie d’art, j’aurais tendance à exposer des œuvres d’artistes syriens ou irakiens en expliquant ce qui se déroule là-bas. Ce n’est pas que pour la publicité, c’est aussi pour transposer ce qui s’y passe. »

Globe Aroma, la galerie qui accueille l’art des réfugiés

Avec l’arrivée massive de migrants en Europe et en Belgique, les initiatives d’intégration prolifèrent. Au cœur du quartier Dansaert, à Bruxelles, l’ASBL Globe Aroma œuvre depuis 13 ans à la promotion de la culture du monde. En entrant dans l’atelier de cette ancienne industrie, on découvre un univers attachant et déroutant. On y retrouve une salle de musique, une cuisine, une salle d’exposition et cette grande pièce ombragée où les œuvres s’agglutinent avec le temps.

Les artistes mis en valeur sont pour la plupart réfugiés ou demandeurs d’asile. Ils travaillent en cohésion, dans un univers de création artistique permanent. Tous possèdent des accords pour rester en Belgique. La plupart étaient artistes dans leurs pays ou avaient suivi des cours dans une académie. Ils (re)trouvent donc un plaisir inconditionnel à accomplir leur art, encadrés par une organisation.

La mixité du lieu étonne, les artistes représentent des dizaines de pays et parlent de nombreuses langues. Une véritable richesse pour cet endroit qui cultive la mixité du monde.

→ Voir le diaporama « Globe Aroma, la galerie qui accueille l’art des réfugiés »

L’art, ce ciment culturel qui nous unit

Avant, Dimitrie (« The Krah ») taguait partout en Europe. Aujourd’hui, il s’est installé en Angleterre et s’épanouit visuellement à chaque fois qu’il se balade dans les ruelles londoniennes, accompagné de ses deux chiennes Ugo et Lili. « J’ai arrêté d’utiliser les trains et les murs pour exposer mon art lorsque j’ai su que Londres regorgeait de salles d’expositions. Voir des œuvres de tous les horizons dans le même lieu, c’est ce qui fait de Londres son génie. »

Pensez à ce que mangent les Anglais par exemple. Ici, vous pouvez manger indien avec du curry en provenance directe de Bombay et déguster des glaces italiennes comme si vous y étiez. C’est exactement la même chose avec l’art. Il n’y a que le meilleur ici, le meilleur du multiculturel. The Krah

The Krah

À un jet de pierre de Big Ben, le long de la Tamise, Dimitrie sourit en contemplant l’une de ses œuvres, avant de conclure : « Vous savez, l’art façonne nos sociétés, les interactions. L’art nous construit tous autant que nous sommes. C’est le ciment qui nous unit. Ne l’oubliez pas. Les valises des migrants sont peut-être pauvres à première vue, mais à y regarder de plus près, leurs bagages culturels sont d’une richesse insoupçonnée.”

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