Le metal belge peine à se faire entendre

par Morgan Dubuisson

Le metal belge peine à se faire entendre

Le metal belge peine à se faire entendre

Morgan Dubuisson
Photos : Morgan Dubuisson et Nikki Lucy de Riot Photography
9 mai 2017
Cette culture musicale alternative, souvent incomprise, a aussi ses marques en Belgique. Mais ici, même les plus passionnés luttent pour vivre de leur discipline.

Le metal, un terme générique qui comprend aujourd’hui aussi bien le hard rock que le punk hardcore, est une anomalie musicale délicieuse, mais hermétique, peu accessible.

L’imaginaire collectif lui associe de lourds stéréotypes. Il est théoriquement l’incarnation musicale de la tristesse, de la dépression, de la violence voire du satanisme. Mais en Belgique, de nombreuses salles prestigieuses – l’Ancienne Belgique, le Trix d’Anvers – et une multitude de festivals comme Pukkelpop et Dour comprennent, dans leur programmation, leur lot de groupes de metal.

Ce genre musical serait donc, curieusement, encore assez populaire. La Belgique compterait 101 groupes par million d’habitants, selon les chiffres d’Encyclopeadia Metallum. Mais les stéréotypes, eux, restent omniprésents. Le youtubeur belge KronoMuzik, passionné de musique et ancien guitariste metal, a tenté de les déconstruire un par un.

 

“On dirait un cochon qu’on égorge” (ou de la déstructuration des stéréotypes)

Je mettrai, dans la vidéo de KronoMuzik faite en collaboration avec le Bruxelles Bondy Blog, certains points en surbrillance :

C’est du bruit : en effet, le metal demande, pour être apprécié, une certaine pédagogie. Ce qui rend cette sous-culture assez peu accessible de prime abord. D’après Damaso Jaivenois, guitariste du groupe belge Reach The Shore, cette richesse est « comparable à (NDLR : celle de) la musique classique. Il y a plusieurs phases d’écoutes nécessaires pour comprendre l’état d’esprit dans lequel était la personne au moment de la composition ». Alors si le metal est plus difficile d’accès, c’est aussi une de ses forces : ses exigences techniques en font un genre à part.

C’est violent : il est indéniable qu’une certaine forme de violence fait partie de la sous-culture metal et que celle-ci est présente aussi bien dans la musique que dans le comportement du public en concert. Cependant, cette véhémence n’est, d’une manière générale, qu’un défouloir où se déversent les frustrations du quotidien. « J’ai été à d’autres concerts, et il y a moins de respect dans la fosse (NDLR : le public debout). C’est pas une généralité, mais j’ai souvent vu cette situation » a confié Damaso Jaivenois lors d’un entretien pour le Bruxelles Bondy Blog. « En concert de metal, il y a des codes : les gens savent où il faut se placer. Si quelqu’un tombe, un espace se crée et il est directement relevé. Il y a une forme de fraternité. » Une fraternité incarnée notamment par la Hardcore Help Foundation (HHF), qui revendait dans le passé les surplus de marchandises de groupes. Aujourd’hui, la HHF a sa propre marque, et ses bénéfices sont dédiés à des oeuvres de charité.

C’est toujours la même chose : il existe une liste presque scandaleuse de sous-genres logés sous la bannière du metal. Cette abondance de catégories participe, naturellement, à la confusion des non-initiés. « Il n’y a pas forcément de règles spécifiques. Certains genres vont davantage te parler, d’autres non. Tout le monde pourrait potentiellement se retrouver dans le metal et il est beaucoup plus étendu qu’on peut le penser » ajoute Damaso au discours du youtubeur KronoMuzik.

“On fait d’abord de la musique metal parce que ça nous fait plaisir”

Damaso, guitariste pour le groupe belge Reach The Shore

Crédit : Morgan Dubuisson

Damaso Jaivenois, présenté sommairement au-dessus, est le guitariste du groupe bruxellois Reach The Shore. Il s’est approprié la sous-culture metal à l’âge de 13 ans. Mais il était déjà passionné par la musique depuis ses 4 ans, lorsqu’il fut inscrit à l’académie de musique pour apprendre le violon, faute de place dans la classe de guitare. Ses premiers amours, c’étaient les groupes de (neo) metal français comme Pleymo ou AqME. Puis ses goûts se sont élargis. A la même période, il rejoint ses premiers groupes. Parmi ces premières expériences, un de ces groupes exploite des paroles en français, un genre qui fonctionnait à l’époque. « Le metal, c’est cool, en plus tu peux le faire en français et en plus ça marche », pensait Damaso à ce moment-là. Aujourd’hui, les groupes arborant fièrement des paroles francophones sont devenus extrêmement rares. Après avoir investi autant de temps et d’efforts dans ces projets, le futur guitariste de Reach The Shore a ressenti le besoin de voir son travail, bien qu’un hobby, récompensé par une reconnaissance du public et un retour sur investissement. La réalité du système s’est vite révélée : faire des concerts ne rapportait que trop peu d’argent, si argent il y avait, et les tremplins n’étaient, finalement, qu’une vitrine fantasmagorique dans laquelle ils devaient « être contents comme ça». «C’était une bonne occasion pour nous de nous faire connaître. En fait, les tremplins, ça ressemble à du financement participatif. Tu y fais venir un maximum de gens que tu connais et si tu as plus d’amis qu’un autre groupe, tu gagnes ».

 

  • Répétition de Reach The Shore - Chris, chanteur. Le chant metal est aussi exigeant que les autres techniques de chant, en termes de pratique, de gestion du souffle et de placement rythmique au sein d'un morceau.
  • Chris, chanteur et Thibaud, bassiste. Lors de mon intrusion dans la répétition des Reach The Shore, à la fin de leur entraînement chronométré, ils m'ont demandé plus de détails sur mon initiative. Je leur ai expliqué qu'essentiellement, je cherchais à savoir s’il était possible de réussir dans le metal en Belgique. La réponse a été unanime et, à l'unisson, ils se sont fendus d'un très réaliste et très spontané : "non !"
  • Thibaud, bassiste. La basse, loin d'être anecdotique, est essentielle à un groupe de metal. Thibaud m'a confié au moment de ranger le matériel que pour lui, jouer de la musique, c'était s'évader. Quand il joue, sur scène ou en répétition, son instrument est l'unique objet de ses pensées. La musique est tout ce qui existe et le reste passe au second plan.
  • Tony, guitariste. La guitare joue un rôle important dans la composition d'un morceau. Et la composition d'un morceau metal est exigeante puisque la qualité technique d'un groupe peut lui permettre de se différencier des autres.
  • Damaso, guitariste. Il n'est pas rare qu'une formation metal comprenne deux guitaristes pour permettre une accentuation des moments les plus puissants du morceau ou pour compléter ce qui est joué par l'autre guitare par des notes harmoniques, par exemple.
  • Gil, batteur. Pour beaucoup de musiciens, la batterie est le coeur même d'un groupe. Elle en est le métronome, le pilier rythmique, et tous les autres membres se reposent sur le batteur, suivant son tempo.
  • Reach The Shore. Les répétitions font partie du quotidien de chaque groupe de musique. Elles permettent de parfaire la coordination entre les instruments et de préparer les futurs concerts. Pourtant Reach The Shore ne répète pas si régulièrement. Cependant, lorsqu'ils le font, ils sont exigeants envers eux-mêmes et elles sont chronométrées à la minute près.

 

Pour Damaso, le metal est un des styles musicaux les plus chers : chacun des membres doit investir dans un matériel onéreux, dans des coûts de déplacement vers le lieu d’une représentation, dans les enregistrements et, souvent, dans la location d’un local de répétition. Ce qui en fait un hobby coûteux. Le surnommé Dédé, gérant du magasin Caroline Music, qui vendait des tickets de concert – notamment metal – avant l’avènement des tickets imprimables, soutient les observations du guitariste :

« C’est difficile pour eux. Je ne pourrai pas citer cinq groupes de metal belges qui ont véritablement réussi économiquement parlant. C’est plus difficile pour eux que pour des artistes de pop ou d’electro. Mais le problème s’est généralisé ceci dit, c’est globalement plus compliqué de vivre de la musique, aujourd’hui. Dans le cas du metal, il y a plus de limitations : par exemple, les cafés ne permettent pas tous aux groupes de se représenter parce qu’ils doivent faire attention aux décibels. »

 

Dédé, gérant du Caroline Music à Bruxelles. Crédit : Morgan Dubuisson

La culture du homemade

Crédit : Nikki Lucy de Riot Photography

Tous ces freins imposent des régimes stricts aux groupes voulant réussir dans ce genre bien spécifique. Aujourd’hui, le metal c’est « surtout du DIY (ndlr Do-It-Yourself) » d’après Damaso. Les musiciens investissent dans du matériel pour pouvoir s’enregistrer eux-mêmes, arrangent et mixent le morceau eux-mêmes. Même la réalisation de clips musicaux suit ce même principe, avec les apports possibles de connaissances et amis gravitant dans les sphères d’influence des membres du groupe. Pour espérer pouvoir vivre de sa musique, en Belgique, il est, de manière générale, nécessaire de s’exporter et de convaincre un public étranger.

Être doué en marketing est une plus-value inestimable également. Beaucoup de groupes, aujourd’hui, voient la majorité de leurs revenus venir du merchandising, de la vente de produits estampillés aux « couleurs » du groupe. C’est aussi le cas du groupe de Damaso :

« Le merch, c’est les CDs, c’est les vêtements, c’est les choses sur le côté. C’est généralement en concert que ça se vend le mieux. Et en termes de concert, d’ailleurs, il est plus profitable pour un groupe d’organiser lui-même une date et de profiter d’un réseau de connaissances pour éviter de dépenser inutilement. Le merch, ça coûte énormément, mais ça peut être rentable. Par contre, il faut donner une raison au public d’acheter ce t-shirt. Il y a toute une gestion économique qui doit se faire (le nombre de tel t-shirt disponible à la vente). C’est un investissement pour lequel tu peux seulement espérer récupérer sur les deux prochaines années : et l’argent revient au groupe, pas à une personne. Le merch rapporte, oui, mais ce qui prend du temps, c’est l’aspect marketing et la gestion en elle-même de tout ce qui est satellite. »

Misha Mansoor, guitariste et fondateur du groupe Periphery (qui ont été nominé aux Grammys 2017), soutient cet état de fait dans une interview pour Guitar Messenger en 2015.

« On ne génère pas assez d’argent pour survivre de ce qu’on fait. (…) Peut-être un peu par choix. Ce que je veux dire c’est que si nous ne faisons absolument pas de production, utilisions des ampoules de maison, et diminuons tous les aspects de notre headliner simplement pour l’argent, oui, nous pourrions probablement faire plus de bénéfices. Mais je me rappelle être allé à des représentations et avoir été véritablement impressionné par le spectacle et la production derrière, ce qui en faisait une expérience. La moitié de la performance scénique est le show lui-même. (…) On récupère de l’argent de manière créative (NDLR : via le merch mais aussi les emplois parallèles), à l’extérieur du groupe pour que celui-ci soit exactement ce qu’on veut qu’il soit. »

Crédit : Nikki Lucy de Riot Photography

Avant toute chose, le metal demande, pour exister, un mélange de passion et d’affection pour la musique, et ce aussi bien pour ceux qui l’écoutent que pour ceux qui composent. Le metal est une anomalie qui réussit à survivre uniquement grâce à un public qui l’aime inconditionnellement et grâce à une communauté qui reste, globalement, soudée (excusez le jeu de mot). Il existe, à la limite de l’opinion publique, en dehors de la réalité économique. C’est un hobby, un travail et parfois un mode de vie. Un monde parallèle avec ses codes, ses principes propres et une vision décalée.

En conclusion, citons un passage de la vidéo de KronoMuzik : “(…) personnellement, c’est dans la communauté metal que j’ai rencontré les individus les plus doux et les plus tolérants”. Alors si les groupes ne gagnent pas beaucoup d’argent, particulièrement en Belgique, les metalheads ont pour une grande partie d’entre eux un cœur d’or.

 

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