L’intégration des enfants migrants en milieu scolaire, une affaire citoyenne
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L’intégration des enfants migrants en milieu scolaire, une affaire citoyenne

L’intégration des enfants migrants en milieu scolaire, une affaire citoyenne

par Antoine Mahin, Chloé Martens, Laura Plumet et Claire Sadzot
21 octobre 2016

À Londres, l’intégration des enfants migrants constitue un enjeu de taille. Pourtant, peu d’initiatives ont émané du gouvernement Cameron. Les écoles et les citoyens pallient ces manquements.

Dans la banlieue de Kensington, au bord d’une voie rapide, à quelques pas du pittoresque et bouillonnant marché de Portobello, se tient le local de la Dadihiye Somali development organisation, une classe de cours supplémentaires destinée à la population somalienne.

Pamela, la professeure, est une petite dame coquette, aux traits rieurs, bien que fatigués. Elle monte les escaliers étroits du 7, Thorpe Close dans un silence religieux. Seul le bruit de son manteau matelassé frottant contre le mur défraîchi trouble la quiétude des lieux. Arrivée au deuxième étage, elle sort un trousseau de clés et parvient au bout de quelques minutes à ouvrir les trois verrous qui protègent la porte du local de cours. « Je ne suis pas sûre que les enfants viendront aujourd’hui. Il fait noir de plus en plus tôt, ça les dissuade de sortir de chez eux… », regrette Pamela en regardant l’horloge au-dessus de la porte qui affiche 17h40.

« J’ai envie d’aider comme j’ai été aidée… »

Dans la salle de cours, fiables témoins de la présence passée d’enfants, des morceaux de papiers découpés jonchent le sol. Pamela est très vite rejointe par Yasmin, une jeune Somalienne de 17 ans. Le visage fin et lumineux, les cheveux enveloppés dans un voile noir, Yasmin semble entrer en terrain conquis. « Je venais ici quand j’étais petite. J’y ai appris beaucoup de choses. Aujourd’hui, j’ai envie d’aider les autres enfants comme j’ai été aidée », sourit-elle.

Cours pour des enfants migrants à Londres

Yasmin, originaire de Somalie, épaule Pamela durant les cours.

Yasmin est originaire de Somalie et a quitté son pays natal pour Londres dès ses trois ans. Elle se rend aussi souvent que possible à l’école supplémentaire afin d’épauler Pamela. Il n’est pas toujours facile pour ces enfants migrants de s’intégrer dans les écoles « normales ». À leur arrivée, ils sont placés dans des classes en fonction de leur âge et non de leurs capacités. Certains éprouvent plus de difficultés à suivre les cours et se détournent finalement du milieu scolaire. Pamela et Yasmin tentent, tant bien que mal, d’empêcher ce genre de dérive.

Un gouvernement inactif

Assises sur des tables en formica, les deux femmes discutent avec passion du fonctionnement de leur école complémentaire. Une parmi tant d’autres. En Grande-Bretagne, ce type d’initiative fleurit. On compte aujourd’hui 5.000 écoles pour l’ensemble du pays.

« Nous ne recevons aucun fonds de la part de l’État. Ce sont des donateurs et des ONG qui nous soutiennent principalement », souligne Pamela. Lors de la crise économique de 2008, l’éducation a été l’un des premiers domaines à pâtir des coupes budgétaires du gouvernement Cameron. Celui-ci a toutefois financé quelques projets pilotes visant à intégrer les enfants dans le milieu scolaire britannique. Mais ces initiatives sont limitées dans le temps et destinées à un nombre restreint d’enfants.

Un refuge sous les toits

Dans la classe, l’horloge tourne, il est bientôt 18 heures. Le ciel est désormais bleu nuit et enfumé par les innombrables voitures londoniennes. Maryam et Hani, accompagnée d’Amira, leur maman, arrivent dans la pièce éclairée par des néons crus. Les deux sœurs, âgées d’une dizaine d’années, s’installent docilement autour de la même table et ouvrent leurs cahiers. Amira s’assoit dans un coin de la pièce pour remplir des formulaires d’inscription. « C’est la première fois que mes filles viennent ici. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école secondaire. Elles grandissent, je ne peux donc plus les aider pour leurs devoirs », explique cette jeune maman avec amertume.

Les parents aussi suivent des cours

Bon nombre de parents ayant migré se trouvent eux aussi en position d’élèves. Plusieurs organismes se mobilisent pour faciliter leur apprentissage. Leur but : impliquer l’ensemble du tissu familial dans la scolarité.

L’action consiste principalement à les familiariser avec le système scolaire britannique. Renaisi, une entreprise sociale, poursuit cet objectif dans les écoles primaires. « On reconnait que si les parents sont investis dans l’éducation de leurs enfants et apprennent eux-mêmes dans le même endroit, les enfants s’en sortent mieux », souligne Emma Brech, directrice du département « Écoles et communautés » de l’organisme.

Renaisi - éducation parents migrants

Pourquoi impliquer les parents ? De bas en haut : soutien parental ; soutien aux élèves ; présence et réussite. (Schéma extrait de Renaisi.com)

Les cours dispensés aux parents permettent à ceux-ci de se mettre à jour dans différentes matières afin de pouvoir aider leurs enfants dans leurs devoirs. Il existe également des cours axés sur le fonctionnement des écoles du pays. « Dans un projet avec les mères non-européennes, on a appris comment parler aux professeurs quand on va dans une école pour la première fois. Quelles sont les questions qu’on peut poser quand on va dans une réunion de parents d’élèves ? Quand on a un problème, est-ce que cela se fait d’en parler avec le professeur ? Qui est qui dans l’école ? » détaille Emma Brech. Des questions assez simples mais qui, lorsqu’elles sont négligées, peuvent être sources de malaise chez les parents.

Un budget en constante diminution

Pour mettre en place un tel programme, les écoles qui font appel à des services d’entreprises sociales doivent financer celles-ci. Elles utilisent généralement les fonds fournis par l’État, mais le budget se rétrécit au fil des ans. C’est la raison pour laquelle Renaisi n’opère actuellement plus que dans neuf écoles contre 17 en 2012. L’organisme tente, tant que faire se peut, de fournir ses services gratuitement à d’autres écoles dans le besoin.

Le « Key to integration programme », un programme pour faciliter l’intégration des migrants, a été lancé en octobre 2013. Ce programme de 2 millions de livres (environ 2,4 millions d’euros) a été financé pour les trois quarts par le biais du Fonds européen d’intégration. Ce programme s’est malheureusement terminé le 30 juin 2015, faute de moyens suffisants. « Le gouvernement devrait faire beaucoup plus. Il devrait plus insister sur l’anglais comme seconde langue pour les nouveaux arrivants. Il y a peu, il donnait des bourses aux écoles pour promouvoir l’intégration des personnes de minorités ethniques et pour engager les parents. C’est avec ça que Renaisi fonctionne », déplore Emma Brech.

Les fonds ont permis de travailler avec treize partenaires, parmi lesquels se trouvaient des écoles, des entreprises sociales et des arrondissements de Londres. Au total, ce sont 84 écoles de quatorze arrondissements avec lesquelles l’organisme a travaillé.

L’intégration des jeunes primo-arrivants dans le milieu scolaire belge

Le Dispositif d’accueil et de scolarisation des primos-arrivants (DASPA) en Belgique remplace et améliore, depuis 2012, les classes passerelles. Les jeunes étrangers y apprennent en priorité la langue française. Ils ont également une remise à niveau dans des matières comme les mathématiques, les sciences, l’informatique, etc.

Certains, n’ont jamais eu la chance d’être scolarisés. Le personnel enseignant doit alors reprendre tout depuis le début avec une difficulté supplémentaire : la barrière de la langue.

Ce dispositif a été mis en place dans une soixantaine d’écoles fondamentales et secondaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ceci afin de permettre à ces jeunes de s’intégrer au mieux dans des classes dites « normales ».

Les jeunes sont dirigés dans les classes à mesure que des places se libèrent. Certains doivent donc attendre plusieurs mois avant d’être scolarisés. Il faut compter une période d’apprentissage d’une semaine à dix-huit mois pour qu’un primo-arrivant ait le niveau pour rejoindre une classe de l’enseignement classique.

Réussir sans aide

Quelques rares écoles parviennent, sans ces financements, à adapter leurs cours en fonction du vécu de leurs élèves. « Afin d’appréhender les capacités et faiblesses des nouveaux arrivants, nous demandons le dossier scolaire de l’élève depuis le début de son éducation », explique Edison David, le directeur de Vauxhall, un établissement primaire dans le centre de Londres où 76% des élèves sont issus de l’immigration. Des entretiens avec les parents sont aussi organisés pour les pousser à s’impliquer dans leur parcours scolaire, mais aussi pour aider les professeurs à mieux comprendre l’écolier.

Si l’école constate un réel problème, elle met tout en œuvre pour assurer le suivi de certains. « Il y a cinq ans, nous avons accueilli un élève letton qui ne parlait pas anglais. Il n’avait pas de dossier scolaire et personne ne parlait letton. Nous devions vérifier ses bases : était-il scolarisé ? que savait-il ? est-ce qu’il reconnaissait les lettres dans sa langue ? est-ce qu’il savait compter dans sa langue ? Nous avons utilisé nos fonds pour employer un assistant qui a travaillé avec cet enfant pendant trois ans », se souvient le directeur. Investir dans l’éducation de ces jeunes qui représentent l’avenir de la société britannique est donc fondamental.

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