Vendredi, 9 heures du matin. Christian Agbobli, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM, prend la parole. Face à un public pas tout à fait réveillé, il aborde les pratiques des médias par les jeunes. Sa voix dynamique parvient à emporter la salle au coeur du sujet.
« La jeunesse, c’est une invention sociale ».
Définir la catégorie « jeune » n’est pas sans difficulté. Le professeur aborde deux types de sociologies : l’une s’intéressant à la jeunesse comme étape de la vie, l’autre étudiant les jeunes à travers la culture. Depuis plusieurs décennies, cette culture jeune est associée aux médias : la génération vidéo dans les année 1970, la génération Nintendo dans les années 1980 et la génération Internet dans les années 1990. Le contexte de globalisation laisse émerger les industries créatives : celle de la culture et celle de la communication. Par la production et la diffusion culturelle, elles composent le « mediascape » ou « paysage médiatique ». Les débuts de la télévision et de la radio sont marqués par une homogénéisation culturelle et une vision américaine du monde. Aujourd’hui, cette hégémonie n’est plus partagée et nous faisons face à une multipolarité médiatique, favorisée par l’usage des nouveaux médias. Christian Agbobli rappelle que le « le Nigéria est le deuxième plus gros producteur de cinéma au monde ». Avec Bollywood en Inde, Nollywood au Nigéria et Globo au Brésil, se reconstituent des industries qui ne sont plus associées au Etats-Unis et qui sont réparties à travers le monde.
Mais qu’en est-il des pratiques de consommation médiatique des jeunes ?
Le chercheur met en évidence quatre usages : les jeunes utilisent les médias en tant que producteurs d’informations de culture générale (leurs devoirs scolaires, etc.), d’ informations sur leur environnement social et culturel (leurs sorties, évènements, etc.), d’informations personnalisantes (sur soi, sur ses amis) et d’informations contextuelles, notamment fictionnelles (people, séries télévissées, etc.) véhiculées par les industries culturelles. Un participant remarque l’absence de l’information politique, très présente aujourd’hui mais dont on parle peu. Les jeunes montrent au travers de ces pratiques le développement certain d’une autonomie.
Christian Agbobli met en tension les deux pôles vers lesquels tendent les médias dans un contexte de mondialisation et d’industrialisation : homogénéisation d’un côté, avec « la culture de la chambre » de Sonia Livingstone, hétérogénéisation de l’autre, favorisée par la diversité des règlements nationaux. En Afrique du Sud, par exemple, les jeunes ont accès à Internet via leur téléphone portable. Au Brésil, une loi a permis aux citoyens d’avoir accès à un certain nombre de productions culturelles nationales mais pas internationales. La pratique du piratage s’est alors largement répandue. En fonction de leur environnement, les jeunes trouvent des alternatives dans un paysage médiatique diversifié et hétérogène. Malgré ces pratiques diversifiées de réception au niveau de la planète, il y a bel et bien une volonté d’homogénéisation dans la production des médias. En prenant l’exemple de Walt Disney, l’universitaire cite l’image de la princesse comme image mondiale de la femme.
Finalement, Christian Agbobli voit dans cette dialectique l’affrontement de deux idéologies. « On se retrouve dans une logique de marché qui tend à influencer les jeunes » et qui vise l’homogénéisation culturelle. Mais la diversité de leurs pratiques lui oppose une autre logique, celle, ultime, du jeune agissant.
