Maître Marie Dosé
02
Août
2016

Aux Ateliers de Couthures, Me Marie Dosé a exposé les conséquences destructrices de l'état d'urgence en France.

Maître Marie Dosé : "Ce métier, c’est quelques 99 coups de poing pour une caresse." © Justine Dauchot

Aux Ateliers de Couthures, Me Marie Dosé a exposé les conséquences destructrices de l'état d'urgence en France.

02 Août
2016

#FestiCouthures. Avec l’état d’urgence, “mon assigné va craquer”

Maître Marie Dosé, avocate pénaliste depuis 15 ans au Barreau de Paris, défend des assignés à résidence. Elle est intervenue, samedi 30 juillet 2016, lors de la rencontre “Mon assigné va craquer” aux Ateliers de Couthures, dans le séchoir Décrypter la terreur. Au travers d’exemples forts, elle évoque l’absurdité d’un système qui se heurte à un mur.

« Brahim est voleur de cheminées. C’est sa spécialité. Je le connais et le défends depuis dix ans, je n’ai jamais vu de signe de radicalisation [chez lui] », commence Me Dosé. Un jour, elle reçoit un appel. Son client a été arrêté. L’avocate lui rend visite en cellule pour lui lire son acte d’assignation à résidence.

Brahim est issu d’une famille pauvre. Il vit dans un appartement avec neuf autres membres de sa famille. Lors d’une perquisition, la police découvre, enfoui dans un tas de chaussettes, un pistolet à grenailles, récupéré dans une cave de l’immeuble.

“C’est vachement dangereux, j’veux pas y aller”

Le visage de son client se décompose à l’écoute des mots impersonnels, copié-collé d’un acte-type, inscrits sur le document. La stupeur laisse place à l’angoisse lorsqu’il comprend qu’il est soupçonné de vouloir se rendre en Syrie. « Il a reculé et m’a dit, poursuit l’avocate, “oh non, c’est vachement dangereux, j’veux pas y aller”. »

L’assignation de son client sera finalement annulée, après un passage devant le tribunal administratif. Mais pour des motifs obscurs, le secret de l’instruction étant évoqué, elle n’obtiendra jamais la raison de cette annulation, ni la preuve que l’arrestation n’était pas arbitraire.

« Ce n’est pas la Syrie qui fabrique les terroristes, mais l’État républicain. »

Un deuxième client de Me Dosé est envoyé en maison d’arrêt. Pour les faits qui lui sont reprochés, il devrait prendre deux mois avec sursis. Devrait, car l’état d’urgence engendre un tas de mesures exceptionnelles. Il prend six mois ferme. « Ceux que je défends aujourd’hui, ceux qui se sont radicalisés, l’ont été par l’état d’urgence. Ils éprouvaient déjà une défiance vis-à-vis de l’État républicain. La fermeté ne leur apprend rien. Tout au plus, elle conforte l’idée qu’ils n’ont plus rien à perdre. » 

Un troisième est assigné à résidence pour s’être indigné de la perquisition de la mosquée qu’il fréquente. Motif invoqué ? Il doit forcément être radicalisé s’il réagit de la sorte…

Perquisitionner pour mieux emprisonner

Une perquisition administrative, souvent menée dès 6 heures du matin, peut déboucher sur une assignation à résidence, ou dans le cas de la découverte d’armes, sur une garde à vue à l’issue de laquelle le prévenu est assigné à résidence. Portes défoncées et fouilles traumatisantes, « on n’hésite pas à renverser la litière du chat, partout, pour être bien sûr que rien ne soit caché dedans », précise Me Dosé.

« Quand l’État d’urgence a été décrété, (le 14 novembre 2015, ndlr), on s’est servi de l’assignation à résidence pour incarcérer. C’est avant tout un instrument politique, pas juridique. »

Mathilde Boussion, journaliste pour la Revue XXI et animatrice du séchoir, revient sur les chiffres liés à l’état d’urgence. Elle évoque « 4 000 perquisitions, 400 interpellations, qui ont débouché sur un total de cinq enquêtes ouvertes pour terrorisme. »

Assignation à résidence, contraintes controversées

Les mesures imposées aux assignés à résidence comprennent notamment l’obligation de pointer trois fois par jour dans un commissariat désigné, le respect d’horaires précis et contraignants concernant la sortie du domicile ou du lieu de résidence, l’interdiction de fréquenter des personnes qui “représentent une menace pour la sécurité et l’ordre public”.

Des dispositions dévastatrices pour la vie familiale et professionnelle, souligne Me Dosé : « Comment accompagner son enfant à l’école quand on doit pointer à l’autre bout de la ville à 9 heures du matin ? Comment imaginer qu’un employeur accepte qu’on s’absente trois fois par jour ? Un de mes assignés (pour lequel une erreur avait été faite dans son dossier, ndlr) devait passer 1h30 dans les transports en commun pour aller pointer. » Cela trois fois par jour.

L’état d’urgence, symptôme d’un État à la dérive

Un quatrième client de Me Dosé, ne supportant pas les conditions que suppose l’assignation à résidence, est venu la voir et lui a demandé d’appeler la police. Il préférait retourner à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, connue pour ses mauvaises conditions carcérales, dont sa surpopulation.

« Comment expliquer à quelqu’un qu’il est puni pour sa violence alors que la République, [à travers la prison], est plus violente que lui ? »

Un jour, alors que l’avocate est au tribunal administratif avec un cinquième assigné, l’audience prend un peu de retard. Elle prévient le commissariat où il doit pointer qu’elle l’y déposera quelques minutes après l’heure à laquelle il doit s’y présenter. Il passe 48 heures en garde à vue. La police perquisitionne une deuxième fois chez lui, « alors que la porte n’était pas encore réparée depuis la première perquisition », précise l’avocate. Résultat ? Il sort avec un avertissement, supposé le dissuader d’arriver en retard la prochaine fois qu’il devra pointer.

Et Me Dosé d’exposer un nouveau cas : « Un de mes clients s’est vu reprocher d’avoir côtoyé un autre assigné à résidence. » La raison ? Ils vivent dans le même quartier, doivent pointer dans le même commissariat, à la même heure. Ils prennent le bus ensemble, n’ont pas d’autre choix que de se croiser.

Les notes blanches, autre instrument, autre problème

Utilisées pour justifier des assignations à résidence, les notes blanches posent largement question. “Elles ne comportent pas de titre, pas de date, l’identité de la personne qui les écrit n’est pas indiquée. Ce sont des affirmations incontestables, explique l’avocate. Le vrai problème, c’est qu’on ne peut pas les contester.” Et c’est alors à l’accusé de prouver qu’il est innocent.

« L’avocat est le dernier lien institutionnel à qui [les assignés à résidence] se confient. S’ils ne répondent plus, ça devient préoccupant. Nous sommes les seuls à parler pour eux. »

Parmi ses clients, Me Dosé défend des personnes radicalisées. Dans l’audience des Ateliers de Couthures, on lance la question suivante : “Comment les défendre quand on est UNE avocate ?” Et c’est par une réponse emplie d’intelligence que Me Marie Dosé y répond : « Au début, je leur posais un ultimatum. Vous me serrez la main ou vous partez. C’était une énorme erreur. Qu’est-ce que ça prouve ? Ça ne sert à rien. »

« Ce métier, c’est quelques 99 coups de poing pour une caresse. Mais pour la valeur de la caresse, on les prend les 99 coups de poing. »

Un système à remettre en question

Ces exemples démontrent la fragilité d’un dispositif inadapté. L’état d’urgence a permis d’enfoncer plus de portes, mais pas celles de la tolérance ni de l’humanisme. Il a renforcé l’écart déjà grand entre un État républicain dépassé, à la dérive et des citoyens en défiance, désenchantés. Une polarisation toujours plus aiguë qui assigne tout un système à se remettre en question. À défaut d’enfermer de plus en plus d’individus entre les murs de l’intolérance.

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