Cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux à Moscou
21
Avr
2016

ICI MOSCOU. Trois étudiants internationaux installés à Moscou passent la Russie à la loupe. Halte aux clichés.

Photo: BBB

ICI MOSCOU. Trois étudiants internationaux installés à Moscou passent la Russie à la loupe. Halte aux clichés.

21 Avr
2016

La “Grande méchante Russie” vue autrement

Propagande, absence de libertés, presse muselée, pays ennemi. La Russie souffre depuis longtemps déjà d’une réputation qui ferait passer Voldemort pour un gentil chaton. Pourtant, une fois les frontières franchies, l’image s’éclaircit et révèle quelques zones floues sur le tableau que nous avons du Grand Ours.

De notre point de vue occidental, il n’est pas aisé de comprendre un pays tel que la Russie, tant nos lunettes sont embuées de préjugés. Pour les dépasser, nous avons demandé à trois étudiants internationaux qui ont posé leurs valises en Russie de nous raconter la façon dont ils ont apprivoisé le pays.

Parmi eux, il y a tout d’abord la jeune néerlandaise Noraly. Arrivée à Moscou depuis quelques mois seulement, ses a priori sur le pays sont déjà malmenés : “Je pensais qu’en tant qu’étranger, on était surveillé de près, dans tous nos mouvements et nos moindres faits et gestes. Je pensais qu’on pouvait finir en prison en disant du mal de Poutine, et que la liberté d’expression était un leurre. Rien de tout cela n’est vrai.

Mani, quant à lui, a quitté l’Iran pour la Russie il y a plus de deux ans : “Je pensais que la Russie, c’était la Mafia, les services secrets et aucune liberté. J’avais une image très noire de ce grand pays qui me faisait vraiment peur, surtout suite au conflit avec l’Ukraine. Mais une fois sur place, j’ai pu voir les choses par moi-même.

Quant à l’étudiante belge, Ambre, elle était “convaincue que la Russie était un gros démon, avec ce que j’avais vu lors de certains cours, ou entendu dans les médias. Mon image du pays était très négative : corruption, pays pas développé, gens rudes. Je pensais vraiment arriver au Moyen-Age. J’avais un peu peur, je l’avoue”. 

 

infographie description des trois étudiants expatriés en Russie.

infographie description des trois étudiants expatriés en Russie.

 

“La froideur des gens est déroutante, mais culturelle”

La froideur des gens n’est pas une généralité en Russie, même si la majeure partie du temps, quelqu’un venu d’Europe de l’Ouest se sentira agressé par cette façon particulière qu’ont les Russes de parler avec un ton sec. Et puis oubliez le sourire, il n’est pas en option.

C’est la culture qui permet d’expliquer cette froideur apparente. Il n’est pas de coutume, en Russie, de sourire à tout-va et de se claquer la bise, un bras autour des épaules, comme cela peut se faire en Espagne par exemple.

“Au premier abord, les Russes sont extrêmement froids, mais avec le temps, cela change beaucoup”, explique Ambre. Si les Russes se dérident avec le temps, Ambre remarque aussi qu’elle a elle-même appris à décoder leurs attitudes à mesure de son séjour sur place. “Un jour, j’étais dans le métro, et une dame âgée était perdue”, raconte Ambre. “Elle ne savait pas où s’arrêter. Elle a demandé de l’aide à une jeune femme, qui lui a répondu assez sèchement. J’ai eu l’impression que la jeune était hyper agressive alors qu’au final elle l’a aidée et a été vraiment super sympa.”

“Les Russes sont très réservés et froids dans leur attitude, c’est comme ça qu’ils sont, c’est tout ! Ils ne sont juste pas comme nous, c’est ce qui fait la richesse culturelle d’un pays. Il faut arriver à aller plus loin et à comprendre qu’ils sont comme ça entre eux, que ce n’est pas réservé aux étrangers et que cela n’a rien à voir avec une supposée ‘haine des étrangers’ “, explique Noraly.

La langue comme barrière 

Une seconde explication à la froideur russe provient de la langue. En Russie, peu de gens parlent anglais. Tout au plus, les plus chanceux apprennent l’anglais à l’université. Au pays de Poutine, 25 ans seulement après la chute de l’URSS, la population n’a pas encore pris le train de l’internationalisation, ce qui peut créer une distance entre Russes de souche et étrangers.

“ Comprendre la langue a été un déclic pour moi. Comprendre les gens et leur façon d’être, c’est un élément essentiel pour s’intégrer ici, raconte Ambre. En Russie, et surtout à Saint-Pétersbourg, il y a très peu de touristes”.

Enseigné aux Russes depuis moins de trente ans, l’anglais n’est donc pas encore un réflexe pour une population qui apprend encore à renaître des cendres de l’URSS. Très peu nomades, beaucoup de Russes restent chez eux et ne sont pas habitués à côtoyer les touristes, excepté dans les grandes villes. En résulte une barrière infranchissable pour ceux qui n’apprennent pas les rudiments de la langue en venant s’installer ici.

Ça m’a pris un an pour trouver ma place ici et établir des relations stables avec les Russes”. 

“Au début, je ne parlais pas un mot de russe, c’était vraiment très dur de m’adapter, se souvient Noraly. Après quelques semaines, j’ai commencé à apprendre des mots par-ci par-là et à faire l’effort de comprendre ce qu’on me disait au lieu de paniquer. Ça a tout de suite été mieux, les efforts sont faits dans les deux sens ! Il ne faut pas croire que les Russes détestent les étrangers ou ne veulent pas apprendre l’anglais, c’est faux. Maintenant, j’ai énormément d’amis Russes et tout va très bien”.

Pour Mani, l’adaptation a été un peu plus difficile, le choc culturel et linguistique plus violent. “ Ça m’a pris un an pour trouver ma place ici et établir des relations stables avec les Russes. J’ai mis du temps à apprendre la langue, et c’est vital pour s’intégrer. Ensuite, je pense que, malgré tout, les Russes ont une mauvaise image du Moyen-Orient (NDLR d’où Mani est issu). J’ai senti des réticences de certains à me parler”.

Poutine n’est pas un dieu

Pour beaucoup de citoyens étrangers qui débarquent en Russie, un cliché tombe : non, le portrait de Vladimir Poutine ne trône pas au dessus de toutes les portes. En Russie, les gens ne sont pas tous d’accord avec le mode de gouvernance de leurs responsables politiques.

“Les Russes ne sont pas tous des adorateurs de Poutine. Ils sont juste très passifs, car ils pensent qu’ils ne peuvent rien faire contre un pouvoir trop centralisé. Ils n’approuvent pas pour autant”, explique Mani. Bien sûr, il faut savoir faire la différence entre les grandes villes et le reste du pays.

Pour Ambre, la Russie est faite d’extrêmes. Riches VS pauvres, ville VS campagne, culture VS social.  “Dans les grandes villes surtout, on ressent un gros choc culturel en arrivant. C’est très riche et en même temps très différent de chez nous. Beaucoup de gens sont très libéraux ici, et très portés sur la culture, qui est d’ailleurs très diversifiée. Mais c’est clair qu’au niveau social, ici c’est un désastre : il y a vraiment deux classes aux antipodes l’une de l’autre: les riches et les pauvres. Et pour les pauvres, rien n’est mis en place pour que ça change”. 

Si la Russie n’est donc pas ce qu’elle semble être, le tableau s’assombrit pourtant dès qu’il est question des deux nerfs de toute grande nation : la politique et, de surcroît, la corruption. La Russie ne serait pas bon élève.

La corruption ici est dingue, et pas qu’au niveau politique, témoigne Ambre.  Pour avoir son permis ou avoir de la nourriture, il faut avoir de l’argent, des connaissances. Tout peut s’obtenir. Nous, on voit cela d’un mauvais œil, mais pour eux c’est normal. J’ai une amie russe qui a raté trois fois son permis et a fini par payer son examinateur pour l’obtenir. Ici, c’est comme ça que ça fonctionne

Les médias occidentaux comme mauvaise presse ? 

Alors si dans nos pays de l’Ouest la corruption ne va pas aussi loin, il serait malvenu de dire que tout est plus blanc que neige. En témoigne, les scandales politiques et financiers qui éclaboussent nos élus quasi quotidiennement dans la presse. Ces mêmes médias qui jouent un rôle déterminant dans l’image que nous avons de la Russie.

“C’est à travers la presse que l’on voit la Russie comme le grand méchant de l’Est”, explique Noraly. Un portrait injustifié selon nos trois étudiants internationaux, qui condamnent, même d’Iran, la façon dont les médias traitent l’information. “L’Iran a certes de très bonnes relations avec la Russie, mais ça n’empêche pas qu’on nous sert toujours un portrait assez terrifiant et diabolique. En vivant ici depuis un an et demi, je me suis vraiment rendu compte du travail des grandes compagnies d’information pour déformer l’image de la Russie, explique Mani. Même les médias russes critiquent le pouvoir ici, la liberté de la presse indépendante est assez surprenante. Mais eux, ils le font en connaissance de cause”.

Ni enfer, ni paradis

La Russie serait, pour ces expatriés en terres russes, un pays où il fait bon vivre et où la richesse se trouve justement dans le changement de culture et dans la découverte d’autres codes et d’autres normes. “ Ça fait neuf mois que je suis ici et j’ai mis du temps à trouver mes marques, mais maintenant j’adore ce pays, témoigne Ambre. La culture est tellement riche ! Je me sens vraiment bien ici. Il ne faut pas baser ses idées sur ce qu’on entend chez nous, car on diabolise beaucoup trop la Russie, selon moi”.

Même son de cloche du côté de Noraly, qui avoue se sentir très bien en Russie et apprécier ses amis russes. Même Mani, qui a mis plus d’un an à se faire au climat russe, pense à faire sa vie ici. “Tout est une question d’adaptation, d’acceptation d’une culture différente. Mais je me rends compte que mes clichés étaient loin d’être exacts ; je me sens bien ici”. A en croire nos trois étudiants, apprécier la Russie, c’est avant tout une question d’ouverture d’esprit et d’acceptation de l’autre. Cet autre qui, encore trop souvent, nous effraie à tort.

SEMAINE SPÉCIALE MOSCOU. Dans le cadre d’un échange à l’Université d’État Lomonosov de Moscou, 23 étudiants de l’IHECS ont intégré la faculté de journalisme pour une durée de deux semaines. Il s’agit de suivre un programme international sur le journalisme et ses enjeux en Russie.

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2 Responses to “La “Grande méchante Russie” vue autrement”

  1. tania.tp@telenet.be' Tania dit :

    Une très bonne idée de partager ces impressions sur la Russie actuelle et de dénoncer les clichés de part et d’autre. Cela dit, de grands intellectuels se sont laissé tromper au XXe siècle par la propagande soviétique et il reste parfois difficile aujourd’hui d’aborder certains sujets avec les Russes qui ont appris à se méfier de la politique.
    Les Russes ont une formidable volonté de conserver ou de rebâtir leur patrimoine. Vive la grande culture russe !

  2. le-blog@russie.fr' Thomas dit :

    Salut,

    très prometteur comme intro, j’aime bien.
    ça change un peu du ton classique pour du journalisme sur la Russie.

    Et ça fait vraiment du bien.

    Si ça vous branche, je vous proposerais bien un article invité sur Russie.fr pour présenter votre projet, le faire connaitre et faire les liens qui s’imposent vers votre site.

    Thomas

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