21
Déc
2014

Les voitures de sociétés, cibles d'attaques d'intellectuels. Le gouvernement, lui, accueille la proposition froidement.

Les voitures de sociétés, cibles d'attaques d'intellectuels. Le gouvernement, lui, accueille la proposition froidement.

21 Déc
2014

Les voitures de société, un problème de société

C’est un réel pavé dans la mare qu’a jeté le politologue Dave Sinardet. Dans une carte blanche publiée dans De Tijd et sur La Libre.be, il critique le régime de faveur sur les voitures de société.

« Je m’intéresse à ce sujet des voitures de société depuis plusieurs années », nous explique Dave Sinardet. “Je me suis rendu compte, pendant mes recherches, qu’on était très haut dans deux classements. L’un qui reprend les villes les plus embouteillées (NDLR : Anvers et Bruxelles sont dans le top 3 des villes les plus congestionnées d’Europe et d’Amérique du Nord) et l’autre sur le nombre de voitures de sociétés. Et donc, je me suis demandé s’il n’y avait pas un lien entre les deux. »

L’interrogation de Dave Sinardet est en fait une question rhétorique. « Selon des experts en mobilité, une voiture sur deux en heure de pointe est une voiture de société », assure le politologue. Pour lui, ce régime de voitures de société n’a plus aucun sens. Elles sont simplement devenues une forme de rémunération à part entière qui pollue, qui crée des bouchons et coûte cher à l’Etat. Quatre milliards d’euros par an, selon un rapport de Copenhague Economics. « Le contribuable paie pour les embouteillages et les particules fines ! », conclut Dave Sinardet.

Dave Sinardet estime qu’un million de voitures de société circulent en Belgique. Un chiffre que conteste La Fédération Belge de l’Automobile et du Cycle (FEBIAC). D’après la FEBIAC, sur un total de 1,45 millions de véhicules en circulation, les voitures de société ne représenteraient que 48%, soit 700.000 voitures environ. L’association ajoute que ce chiffre ne serait pas du tout démesuré par rapport à nos voisins européens.

L’OCDE critique les subsides des voitures de société en Belgique

Le politologue flamand n’est pas le seul à remettre en cause ce système. Dans une étude, l’Organisme de coopération au développement économique (OCDE) critique la surexploitation de cette forme de rémunération. « La Belgique est le pays qui utilise les plus la voiture de société comme source de revenu », explique Kurt Van Dender, fiscaliste et chef du département Taxe et Environnement à l’OCDE. « C’est un réel problème puisque ces gens, dans la plupart des cas, ne paient ni la voiture, ni son utilisation dont notamment le carburant. Elle ne leur coûte rien du tout. Alors évidemment, cela donne plus d’utilisation, plus de consommation, plus de CO2, plus de pollution et, évidemment, plus d’embouteillages comme on peut le constater en Belgique. » Sur ce point, la Febiac s’inscrit en faux également. La fédération ne voit pas l’intérêt de s’attaquer aux voitures de société. Selon elle, un salarié propriétaire d’une voiture de société ne roule pas plus et donc ne pollue pas plus qu’un employé actif avec sa propre voiture.

Kurt Van Dender insiste : « Il est prouvé que ceux qui ne paient rien pour leur voiture l’utilisent beaucoup plus que ceux qui la paient. Ceux-ci sont beaucoup plus conscients du prix de l’essence, par exemple. »

L’Etat donne 2763€ par voiture par an

L’organisme basé à Paris a estimé le subside accordé par l’Etat belge. Pour calculer cela, deux formes de rémunération pour un même employé ont été prises en compte. Avec la première formule, l’employé ne reçoit que de l’argent comme rémunération. Avec la seconde, il reçoit moins d’argent mais reçoit une voiture de société en contrepartie. En considérant que l’employé reçoit dans l’absolu la même rémunération selon l’une ou l’autre formule, la différence de taxe pour l’entreprise entre les deux formules est de 2763€ par an et par voiture de société.

Aucun autre Etat membre de l’OCDE n’accorde un tel avantage fiscal. La moyenne des 28 pays analysés est de 1600€.

« Les embouteillages et la pollution n’étaient pas prévues et n’étaient évidemment pas l’objectif lorsque le système a été mis en place », constate Kurt Van Dender de l’OCDE. « L’idée était, pour les entreprises, de contrebalancer le coût du travail dont la Belgique détient également le record des pays de l’OCDE. » Le fiscaliste explique que ces deux variables sont mécaniques. En touchant à l’une, on touche à l’autre. « Si vous taxez beaucoup d’un côté, il est évident que vous allez subsidier d’un autre côté. La situation belge vient donc uniquement du fait que le pays a des taxes sur le travail très importantes », conclut-il.

“Meer euros, minder autos”

Si le nombre de voitures de société est une conséquence directe du coût du travail élevé en Belgique, pourquoi ne pas intégrer cela dans le fameux « tax-shift » évoqué mais pas encore décidé par le gouvernement ? « En récupérant l’argent investi dans les voitures de sociétés, 4 milliards d’euros par an, on pourrait faire baisser les charges sur le travail », explique Dave Sinardet. De cette manière, on ferait d’une pierre deux coups : « On s’attaquerait à la fois au problème de la mobilité et à celui du coût du travail. Meer euros, minder autos », résume-t-il, en néerlandais dans le texte.

Kurt Van Dender confirme cette idée « Si vous baissez les coûts du travail en Belgique, les voitures de société seront beaucoup moins intéressantes par rapport au salaire net donc elles disparaîtront petit à petit. »

Ce chiffre de 4 milliards calculé par Copenhague Economics est à remettre dans son contexte. Il englobe à la fois l’avantage fiscal octroyé par l’Etat et toutes les conséquences indirectes des voitures de société, c’est-à-dire le coût des embouteillages, des accidents, de la pollution et de soins de santé qui en découlent. Si nous ne prenons que le subside en lui-même (2.763€ par voiture par an) multiplié par le nombre de voitures de sociétés -environ 850.000 pour couper la poire en deux entre les chiffres de la Febiac et ceux avancés par Dave Sinardet, on peut estimer le coût direct du soutien aux voitures de société à 2,35 milliards par an, soit 0,5% du PIB de la Belgique.

Mobilisation en Flandre…

Plusieurs intellectuels et associations flamands ont apporté leur soutien à Dave Sinardet. Les associations Bond Beter Leefmilieu, Kom op tegen Kanker et het Netwerk voor Duurzame Mobiliteit ont lancé une pétition sur internet qui, en une semaine, a reçu 25.000 signatures.

Parmi les premiers signataires de la pétition, des professeurs d’universités flamands spécialisés en économie et fiscalité tels que Gert Peersman (U Gent), Stef Proost (KU Leuven) ou Michel Maus (VUB). « Ce ne sont pas tous des gens stupides », ajoute Dave Sinardet avec le sourire.

… balayée par De Wever

Pour l’instant, cette proposition, qui semble couler de source, a reçu un accueil mitigé du gouvernement. « Je n’ai que peu besoin de tous ces débats. Il faut diriger à partir de l’accord de gouvernement et ce dossier n’y figure pas », a commenté Bart De Wever.

« Pourtant, le ministre des Finances NV-A, Johan Van Overtveldt était plutôt ouvert à la discussion avant que son président de parti, Bart De Wever, le rappelle à l’ordre », souligne Dave Sinardet. « Mais on sait bien qu’en politique belge, les voitures de société constituent un tabou. Tout le monde dit qu’il faut promouvoir les moyens de transports alternatifs mais dans les faits, c’est toujours la voiture qu’on favorise. Les politiciens refusent cette idée alors que beaucoup d’intellectuels et d’associations la soutiennent. »

Didier Reynders, dans le Grand Oral de la RTBF, a lui ouvert la porte 3 semaines après la proposition de Dave Sinardet. Dans l’émission du service public, le ministre des Affaires Etrangères globalisait le problème des voitures de société dans celui des avantages en nature. “Dans le tax shift, il y a des choses que l’on peut faire à l’intérieur même de la fiscalité sur le travail. Exemple : les voitures de société, les ordinateurs portables ou les smartphones. Tout cela, c’est bien mais je crois que les travailleurs, s’ils étaient sûrs de recevoir l’équivalent en net, préfèreraient avoir le net !” expliquait-il le 20 décembre à Béatrice Delvaux, Georges Lauwerijs et Jean-Pierre Jacqmin.

Le syndrome “mikado”

Pour François De Smet, philosophe et observateur des questions politiques et sociales, ce n’est pas une habitude belge de supprimer quelque chose qui ne fonctionne pas. « Cela fait partie de ce que j’appelle les mesures Mikado dont on abuse en Belgique. Ce sont des petites mesures apportées par les uns et les autres pour compenser des injustices qu’on n’arrive pas à corriger autrement. Ici, plutôt que de baisser simplement le coût du travail, on a choisi de le corriger par un avantage sur les voitures de société ». La Belgique passe donc son temps à complexifier son système, selon le philosophe.

Une autre explication donnée par François De Smet est davantage symbolique. « Chacune de ces mesures Mikado représente un droit acquis pour une tranche de la population. Dans le cas présent, les voitures de société représentent un symbole pour le cadre belge moyen. Lui retirer, c’est remettre en cause certaines de ses habitudes. »

Kurt Van Dender, expert fiscaliste à l’OCDE a une explication plus électoraliste sur la question. Il part du principe que les partis au pouvoir, notamment les libéraux et la N-VA, ont parmi leurs électeurs beaucoup de gens qui, socio-démographiquement, profitent d’une voiture de société. « En réduisant ou en annulant cet avantage-là, le gouvernement augmenterait le salaire poche de tous les salaires ce qui profiterait donc à tout le monde. Il ne favoriserait donc plus son propre électorat et ce serait très difficile à vendre politiquement », estime-t-il.

« Le calcul peut effectivement être politique », reprend François De Smet. « Les couches populaires sont déjà de mauvaise humeur, ce n’est peut-être pas la peine de rajouter à cette grogne les classes moyennes qui sont, pour beaucoup, dans l’électorat de la N-VA, de l’Open VLD ou du MR. »

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