02
Déc
2017

La mobilité coûte cher aux noctambules de la capitale européenne. Pourquoi l'offre STIB n'est-elle pas plus fournie ?

Les bus Noctis ne roulent que le vendredi et le samedi... À quand un service de nuit tous les jours de la semaine ?

La mobilité coûte cher aux noctambules de la capitale européenne. Pourquoi l'offre STIB n'est-elle pas plus fournie ?

02 Déc
2017

Bruxelles disposera-t-elle de transports en commun toute la nuit ?

Ils sont travailleurs de nuit dans l’Horeca, infirmiers, étudiants fêtards, touristes ou simples adeptes des dernières séances de cinéma. Certains ont de petits salaires et se retrouvent parfois obligés d’acheter une voiture sans en avoir l’envie, ni les moyens. Pour ces oubliés du transport public, la mise en place d’un service de nuit en semaine ferait sens, même s’ils restent minoritaires par rapport aux navetteurs de jour.

La nuit, en semaine, les seuls moyens de transport à la disposition des Bruxellois sont des taxis assez chers, des Collectos avec longue attente ou des services tout aussi onéreux tels que Uber ou DriveNow qui font polémique. Le vendredi et le samedi, des bus Noctis fonctionnent, mais uniquement jusqu’à 2h45 du matin.

Un retour pénible

Dimitri, 26 ans, barman dans le quartier du cimetière d’Ixelles, déplore le manque d’options qui s’offrent à lui pour son retour vers 3 ou 4 heures du matin. « Rentrer chez moi est vraiment pénible. A pied, c’est une heure de route, en taxi cela coûte 16 euros et c’est douloureux financièrement. Pour Uber, ce n’est pas beaucoup moins cher qu’un taxi pour un service de qualité nettement inférieure et financièrement toujours pas intéressant pour un trajet tel que le mien. Autre solution : attendre le premier transport STIB en allant boire un verre et cela finit toujours plus tard que prévu avec des dépenses imprévues, ou alors attendre à l’arrêt de la STIB dehors et en hiver. C’est loin d’être agréable. J’ai testé pas mal de ces solutions et c’est le vélo qui devient le plus rentable. Je paie actuellement un abonnement STIB que je ne peux rentabiliser que pour les trajets “aller”. Les “retours” sont des dépenses supplémentaires. Des dépenses qui sont considérables lorsque l’on additionne tous les frais, même l’option la moins chère : le Collecto. Pour un mois de travail, cela me revient à 100 € de Collecto, plus les 50 € de l’abonnement.”

“Les usagers qui travaillent tard n’attendent qu’une chose : rentrer chez soi.”

“Des transports en commun toute la nuit ou du moins, plus tard le soir ou plus tôt le matin, pourraient être intéressants pour les usagers qui travaillent tard et n’attendent qu’une chose : rentrer chez soi. » Fanny, 23 ans, étudiante et ancienne serveuse en boîte de nuit dans le centre-ville se rappelle de ses retours du travail. « Étant donné que je finissais toujours entre 5 et 9 heures du matin, je me suis retrouvée plus d’une fois à hésiter à prendre un taxi alors que le prix est clairement peu intéressant. Le matin, les transports en commun passent environ toutes les demi-heures, ce qui peut être très pesant après une nuit de travail dans un club… Plus d’une fois en arrivant à l’arrêt, je me suis retrouvée à attendre pendant plus de 30 minutes, plombée de fatigue.”

Bureau de la STIB, rue royale

Françoise Ledune (STIB) dans son bureau. Photo : BBB

Une demande trop faible ?

Si aujourd’hui ces personnes se sentent délaissées par l’offre de transport public actuelle, c’est d’abord à cause d’un concours de circonstances. Tout d’abord, Bruxelles est une ville où les activités nocturnes sont organisées, mais restent relativement limitées par rapport à d’autres villes. La circulation automobile est aussi relativement limitée en soirée, donc les gens utilisent plus volontiers leur voiture. Il n’y a pas de problème d’embouteillages comme en journée. Enfin, selon la STIB, la demande n’est tout simplement pas suffisante : « Un bus c’est 50 personnes, un tram une centaine, et un métro c’est 400 à 900 personnes. On ne peut pas faire circuler ce type de moyens pour 10 ou 30 personnes. D’autant que nous devons déjà assurer un service quotidien 7j/7, 20h/24. Le budget étant limité, on doit établir des priorités. C’est-à-dire assurer un maximum de présence et de capacité au moment des heures de pointe, donc au trajet domicile-travail en semaine. »

Un budget limité qui oblige à faire des choix 

Le budget. C’est là que le bât blesse. Selon la porte-parole de la STIB, Françoise Ledune, le réseau de transport à Bruxelles n’est pas rentable. « Aujourd’hui, un trajet coûte en moyenne deux fois plus cher que le prix du ticket. » Seulement, c’est bien là l’objectif d’un réseau de transport public : pouvoir offrir un service au public, qu’il soit rentable ou non. Mais ce service a un coût pour la population bruxelloise qui paie des impôts. Dès lors, la Région investit là où la demande est la plus importante et ne privilégie pas les noctambules, qui sont minoritaires. C’est comme ça qu’est née l’alternative du système Noctis et Collecto.

  • Fréquentation des lignes Noctis : 2 500 à 4 800 voyages par weekend (vendredi et samedi).
  • Le réseau est le plus fréquenté au printemps et en automne, moins durant l’hiver et les mois d’été. Les lignes les plus fréquentées sont les lignes N05, N08 et N09.
  • Le réseau Noctis est principalement fréquenté entre 1 heure et 2h30 du matin (68% de la fréquentation).
  • Fréquentation du réseau de jour = environ 1 million de voyages, soit près de 370 millions par an.

Cependant, ce qu’on oublie c’est que le transport public est le seul mode de transport accessible à tous, quelles que soient la condition physique, l’aptitude à conduire ou non, la taille des portefeuilles ou les horaires de travail… La tendance à dire que les gens n’ont qu’à prendre Uber, un Collecto, un Drive Now ou un taxi la nuit démontre le manque d’accessibilité à tous. Le service rendu au public est donc limité à un cadre horaire.

Une capitale de l’Europe à la traîne ?

Un certain nombre de villes européennes offrent à leurs citoyens un service minimum de nuit. Voici quelques exemples de villes semblables à notre capital en termes de population :

  • Milan (1,3 million d’habitants) : des bus remplacent le trajet des métros la nuit. Certains trams et certains bus roulent toute la nuit. Le samedi soir et le vendredi soir, il y a des bus et des trams en plus grande fréquence.
  • Varsovie (1,7 million d’habitants) : il existe un service de nuit de bus, mais avec une fréquence moins importante.
  • Budapest (1,7 million d’habitants) : des bus nocturnes circulent toute la nuit, jusqu’au départ des premiers bus de la journée.
  • Vienne (1,8 million d’habitants) : les métros circulent 24h/24, durant le week-end, du vendredi soir au dimanche matin et la veille des jours fériés.
    Une vingtaine de lignes d’autobus de nuit tous les jours (Nightline) sillonnent la ville jusqu’à 5h environ. Fréquence : toutes les demi-heures.
(Source Le Routard)

“Je n’ai pas dû utiliser un seul taxi ou Uber pour rentrer de soirée.”

Pablo, 22 ans, étudiant en ingénierie civile à l’ULB, a vécu un an à Milan dans le cadre d’un échange Erasmus. « Une fois minuit passé, des bus de nuit font le trajet des métros. Certains bus principaux roulaient également toute la nuit. Ce réseau de nuit était d’ailleurs augmenté les vendredis et samedis soirs. L’abonnement classique permet d’utiliser les bus de nuit sans aucun frais supplémentaire. Je n’ai pas dû utiliser un seul taxi ou Uber pour rentrer de soirée pendant mon année d’Erasmus. Ce réseau de nuit permet vraiment de sortir sans devoir se soucier du retour. C’est tout le contraire à Bruxelles. »

Collecto VS Uber

Le succès de Collecto est grandissant : de 173 000 voyageurs en 2014, on est passé à 244 000 en 2016, donc une augmentation de près de 40%. Mais parallèlement, le succès des nouveaux opérateurs, à l’image de Uber, entre également en concurrence. Moins cher qu’un taxi classique, plus rapide qu’un Collecto, il offre une alternative confortable aux usagers, notamment en évitant des trajets interminables dans la ville. Leur solution : le carpooling. La technologie de ces entreprises privées, que les taxis n’ont pas, analyse les trajets similaires des clients pour faire des trajets les plus cohérents et efficaces possible.

Pourquoi la région n’investirait-elle pas dans un service de bus de nuit plus ample et moins onéreux, plutôt que dans Collecto qui se fait concurrencer par des entreprises privées comme Uber, plus au point technologiquement ? Céline Delforge, députée Ecolo au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, parle « d’expédients » : « On dit : “voilà des multimodalités comme Collecto et d’autres moyens de transport complémentaires”. Mais on s’en sert comme prétexte pour ne pas offrir un service permanent. »

Investir dans la mobilité : un choix politique avant tout

À l’heure qu’il est, c’est un plan de prolongation du métro vers le nord de la ville qui est prévu. Un investissement de plus de 1,5 milliard d’euros. Le plus gros projet d’infrastructure de l’histoire de la Région Bruxelles-Capitale. Un tel budget pourrait rapidement être ré-alloué sur des lignes de bus ou de tram moins onéreuses, et sur des plages horaires nocturnes. Cela pose question. « Donner la grande priorité à des métros pour faire 5 km, avec des coups pharaoniques qui seront prêts dans plus de 10 ans, est irrationnel. C’est vraiment aujourd’hui qu’il faut intensifier les liaisons, faire le maillage du territoire qui n’est absolument pas bon. Il faut se concentrer sur la desserte de tous les quartiers et en intra-bruxellois, et donc un peu moins s’orienter sur les gros flux de navetteurs, avec de grosses lignes de métros », constate Céline Delforge.

Parlement francophone bruxellois

Stéphane Obeid (MR). Photo : BBB

Bruxelles bat des records

Embouteillages, tunnels qui s’effondrent, REB (Réseau Express Bruxellois) qui se fait attendre, bus et trams prisonniers du trafic routier. Tout cela s’inscrit dans un problème plus général de mobilité et d’offre publique. Pour résoudre la crise des tunnels, la région vient de débloquer des centaines de millions d’euros pour les 25 ans à venir. Comment en est-on arrivé là ? Selon Stéphane Obeid, collaborateur-expert en Mobilité (MR) cela est dû à l’incurie des derniers gouvernements. “La Région n’a pas assez prêté attention à l’état des infrastructures et n’a pas assez investi dans l’offre de transports public. Ce qui explique pourquoi les budgets qu’on utilise aujourd’hui pour ces infrastructures sont tellement élevés.” Cause probable ? Une politique souvent courtermiste. Entretenir des tunnels ne constitue pas une avancée porteuse et séduisante électoralement dans le mandat d’un ministre de la mobilité. Aujourd’hui, ce budget alloué aux infrastructures pourrait être consacré à autre chose, notamment le développement de lignes la nuit.

Les responsables politiques n’oublient pas les noctambules pour autant. La ligne du bus 71 rallongée jusqu’à 3 heures le jeudi soir est en phase de test, au grand plaisir des étudiants de l’ULB et de la VUB. Pour les travailleurs de nuit, d’autres solutions rapides sont imaginables : chèques-taxis offerts par l’employeur, prix au rabais du trajet Collecto, voire même un transport organisé par les entreprises privées qui en ont les moyens. Mais concrètement, pour les autres citoyens bruxellois, il faudra encore patienter.

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