La prison de Rennes (France)
31
Mai
2016

"EX-TAULARD". Si ce mot semble banal, ses résonances le sont moins. Étiquette ou miroir déformant, il renvoie au regard d’autrui, toujours jugement.

La prison de Rennes (France). © Juliette Favre

"EX-TAULARD". Si ce mot semble banal, ses résonances le sont moins. Étiquette ou miroir déformant, il renvoie au regard d’autrui, toujours jugement.

31 Mai
2016

PORTRAIT. Libérés sans garder de traces ?

Dans les prisons francophones de Belgique, la colère gronde et ne désenfle pas. Depuis le 25 avril 2016, les agents pénitentiaires font grève en réaction à l’ajustement budgétaire du ministre de la Justice Koen Geens. Les conditions de détention s’en trouvent fortement impactées. C’est dans ce contexte que nous donnons la parole à d’anciens détenus tout au long de la semaine. Ces rencontres ont été réalisées en France entre décembre et juillet 2015, dans le cadre d’un “crédit projet”, c’est-à-dire un projet journalistique libre réalisé en fin de cycle de baccalauréat. Elles sont l’occasion d’une réflexion sur l’enfermement et ses séquelles. 

La Révolution Française de 1789 érige la Liberté en bien le plus précieux. C’est donc en toute logique que les réformes pénales de la fin du XVIIIème siècle abolissent les supplices au privilège de l’emprisonnement ; les châtiments corporels sont supprimés au profit de la privation de liberté. Ce nouveau type de peine a une visée normalisatrice et ambitionne une transformation de l’âme. Celle-ci est dorénavant jugée en même temps que le crime, malgré un supplément punitif lié au corps, comme l’explique le philosophe Michel Foucault, auteur de Surveiller et punir.

L’attente et l’ennui, les pires ennemis du détenu

La prison isole les détenus de la société et les confine dans un espace et un temps donnés. L’espace, délimité par des murs, se caractérise par les cellules et les parties communes de la prison. Selon l’anthropologue et sociologue Didier Fassin, le mur, en plus de séparer, de marquer une frontière entre le dedans et le dehors, entre le détenu et la société, renvoie en permanence le délit ou le crime commis à la personne enfermée. Il ramène symboliquement vers une centration sur soi et son passé, renforcée par un temps devenu quasiment immobile. La temporalité a une double échelle : celle de la journée et celle de la durée de la détention. Le temps s’écoule indéfiniment, jusqu’à ce que le détenu fasse connaissance avec ses pires ennemis : l’attente et l’ennui.

Par la suite, trois types d’attitudes émergent. Les hyperactifs tuent le temps en travaillant et en s’occupant constamment, pour se soustraire de l’attente. Les actifs profitent de cette parenthèse dans leur vie pour étudier, participer à des activités culturelles et sportives, pour évoluer. Les passifs attendent en cellule et subissent le rythme imposé sans tenter de se le réapproprier. Pour eux, plus que pour les autres, le temps est une quantité vide de sens.

Vers une reconquête de soi ?

Surveillés en permanence, les détenus sont en proie au regard omniprésent de l’autre. Leur détention représente une dépossession de leur propre corps. Le statut de corps-objet atteint son paroxysme lors des fouilles, qui leur retirent à la fois intimité et statut de sujet. Pour certains, se réapproprier ce corps est un exécutoire et passe par le sport, la musculation et les tatouages. Pour d’autres, cela consiste à se mutiler, parfois jusqu’au suicide. Ainsi, selon le rapport 2011 de l’Observatoire International des Prisons (OIP), le taux de suicide y est six fois plus élevé que dans la population générale. Dans tous les cas, cette réappropriation du corps favorise un sentiment de reconquête de soi ; le corps délaissé est rappelé à l’existence. Le libre contrôle de son corps est ainsi, selon l’anthropologue et sociologue David Le Breton, la seule souveraineté qui reste au détenu.

La prison « laboure les âmes »

« Fleur noire de la société civilisée », selon la formule de l’écrivain Nathaniel Hawthorne, la prison est une confrontation perpétuelle avec le non-sens. D’après Michel Vaujour, ancien braqueur français connu pour ses cinq évasions, ceux qui y sont enfermés font l’expérience de cette vacuité et la peine en est cet apprentissage.

Si la prison échoue, conclut Didier Fassin, c’est donc parce qu’elle place les individus dans un espace vide de sens, qui rend quasiment impossible toute tentative de construction ou de reconstruction de soi. Les effets pathogènes induits par l’enfermement ont d’ailleurs été observés à maintes reprises : désocialisation, étouffement de l’élan vital, altération du rapport au monde et détérioration du lien à l’autre, réduction de l’identité au seul délit, déchéance physique et morale, paupérisation et avilissement.

Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, dit de ce lieu de déshumanisation et d’extrême violence qu’il  « laboure les âmes », remplissant donc ainsi son objectif de transformation.

Juliette Favre

Remerciements à Ipek Cakir pour la traduction français/kurde, à Luc Favre, enseignant à la prison Saint Maur (Indre – France) et à Anne Riaux, conseillère en économie sociale et familiale à la Maison Relais de Rennes (France).

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5 Responses to “PORTRAIT. Libérés sans garder de traces ?”

  1. […] Dans les prisons francophones de Belgique, la colère gronde et ne désenfle pas. Depuis le 25 avril 2016, les agents pénitentiaires font grève en réaction à l’ajustement budgétaire du ministre de la Justice Koen Geens. Les conditions de détention s’en trouvent fortement impactées. C’est dans ce contexte que nous donnons la parole à d’anciens détenus tout au long de la semaine. Ces rencontres ont été réalisées en France entre décembre et juillet 2015, dans le cadre d’un « crédit projet », c’est-à-dire un projet journalistique libre réalisé en fin de cycle de baccalauréat. Elles sont l’occasion d’une réflexion sur l’enfermement et ses séquelles. Lire notre dossier « Libérés sans garder de traces ? » […]

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