Médias traditionnels et citoyens se tournent parfois le dos. Quel modèle pour le journalisme de demain ?
17
Mai
2017

Dans un climat de perte de confiance envers la presse traditionnelle, des initiatives donnent la parole aux citoyens.

Dans un climat de perte de confiance envers la presse traditionnelle, des initiatives donnent la parole aux citoyens.

17 Mai
2017

Médias et citoyens : un couple en quête de dialogue

Beaucoup de questions se posent quant à l’avenir des médias traditionnels. Une crise de confiance pèse sur le monde des médias classiques. L’enquête “Noir Jaune Blues” pointe cette rupture en Belgique, tandis que le baromètre “La Croix” révèle que la France n’est pas épargnée. À l’ère des fake news, les facteurs pointés sont le besoin de repères ou encore l’attente d’informations décryptées et vérifiées. Des doutes quant à l’indépendance des journalistes (seulement 24 % des Français jugent qu’ils résistent aux pressions) subsistent également. La figure du journaliste même est remise en question.

Comme le montre ce tableau issu de l’enquête “Noir, Jaune, Blues”, la faible confiance envers la presse et les grands médias (11ème) est conjuguée à une valeur qui reste forte pour les organisations dites “horizontales”, qui agissent avec et pour le citoyen.

 

Les citoyens au micro

Face à ce constat, des citoyens (non-professionnels des médias) produisent de l’info hors des titres traditionnels. Ronnie Ramirez collabore avec Zin TV, une web-tv engagée à stimuler les luttes sociales et donner de la visibilité aux initiatives civiles. Il dénonce un imaginaire sur le monde dicté par les grands médias. “Le journaliste dicte ce qu’il faut penser, il est face à la caméra, sur l’action. Nous, on travaille avec le second plan. Comme une forme de journaliste participatif… Les mouvements sociaux et le monde citoyen sont représentés de façon folklorique aujourd’hui.”

Mais le journalisme citoyen ne fait pas l’unanimité. “Un citoyen exprime ses opinions, raconte ce qu’il a vu autour de lui, tient un discours militant qui ne lui impose aucune exigence de respect de la vérité. Il évoque les émotions qui lui tiennent à cœur et se veut acteur dans la société. Le journalisme remplit un autre rôle social. Il a pour responsabilité d’être l’intermédiaire entre ce qui se passe, au sens le plus large du terme et le public. La parole citoyenne est légitime. Le journalisme citoyen n’existe pas.” Une opinion d’André Linard, secrétaire général du CDJ de 2009 à avril 2016.

“Les citoyens qui ne s’emparent pas de la question de l’information sont condamnés à rester muets” Ronnie Ramirez (Zin TV)

En réponse à cette carte blanche d’André Linard, plusieurs médias alternatifs belges (journal Kairos, ZIN TV, Sans Papiers TV, collectif Krasnyi, radio Panik) ont signé un papier prenant le contrepied en terme de bien-fondé de l’information citoyenne. “C’est donc fondamentalement cette appartenance des médias qui a détourné de nombreux citoyens de l’info-spectacle et les a amenés à créer leurs propres supports. Ceux-ci ne sont pas pour une moindre qualité de l’information, estampillée par les professionnels. » Au contraire, puisque ces nouveaux médias « citoyens » remplissent une fonction que les « professionnels » n’assument plus. Ils le font par conviction, par souci citoyen, et dans des conditions humainement et matériellement difficiles.”

Ces difficultés font partie de l’identité même des médias citoyens, qui dépendent principalement des subsides de la Communauté française. Ronnie Ramirez se méfie des conséquences de la professionnalisation des médias associatifs sur leur fonctionnement et le contenu qu’ils proposent : “Avec plus de moyens, le danger serait de devenir les pros de la communication citoyenne. (…) Le souci, c’est que pour être visible, la tendance veut qu’on soit sexy, punchy. Cela laisse place à toutes formes de dérives. Notre média communautaire (ZIN TV, ndlr) n’est pas prêt à faire ce genre de concessions anti-identitaires. Il faut se méfier de nous-mêmes.

La cage et la muselière

Bastien Bolze a lancé Prison Insider, un média qui veut informer, comparer et échanger sur les prisons, partout dans le monde. Les citoyens qui sont privés de leur liberté sont les premiers concernés. Il ne s’agit pas encore d’une prise de parole pour les prisonniers, mais d’une volonté de communiquer sur leurs conditions. Nous sommes ici dans la couverture d’une tranche de la population qui a peu de possibilités d’expression.

Le média a pour objet de faire connaître les conditions de détention et de promouvoir les droits et la dignité des personnes privées de liberté partout dans le monde. Pour cela, il travaille en correspondance avec des organisations adoptant leur ligne éditoriale à travers le globe. Il valorise ainsi les bonnes pratiques par comparaison et favorise le témoignage et les solidarités. Leur arme, c’est l’information.

La parole des prisonniers, un chemin cahoteux

Des étudiants de PI organisaient un débat sur l'information à propos du milieu carcéral ce jeudi à l'IHECS.

Des étudiants de PI ont organisé un débat sur l’information à propos du milieu carcéral, ce jeudi 11 mai à l’IHECS (Photo : Carmen de Lhoneux).

Pourquoi les journalistes peinent à entrer dans les prisons pour leurs reportages ? C’est une des questions qui a été posée lors du débat “Informer sur un milieu fermé”, organisé par les étudiants en Presse-Information de l’IHECS, le 11 mai. Alessandra D’Angelo, journaliste d’investigation, a articulé sa réponse en trois temps.

  1. À cause du système carcéral : selon l’intervenante, ce système est assez hermétique car il fait passer la politique sécuritaire avant la politique sociétale. De ce fait, l’accès aux journalistes est rendu difficile. Bernard Bolze, directeur de Prison Insider, une organisation qui veut donner la parole aux prisonniers, ajoute une piste de solution : « Si les journalistes multiplient leurs informations sur les prisons, vraies ou fausses, cela fera peut-être réagir le milieu carcéral. Les prisons se rendront compte qu’en donnant un accès plus facile aux journalistes, ils feront mieux leur travail. »
  2. À cause de l’opinion publique : après l’affaire Dutroux, l’opinion publique considérait que les prisons étaient remplies de violeurs. Dans le climat actuel, le cliché est plutôt de dire que tous les prisonniers sont des djihadistes. Du coup, les médias se focalisent sur ces cibles.
  3. À cause des journalistes : l’information carcérale n’est pas relatée de la bonne manière par les journalistes. Ils se focalisent sur le buzz au lieu de parler des prisons de façon plus analytique dans leurs reportages. Nicolas Cohen, président de la section belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP), une organisation qui sert souvent de relais entre les prisons et les médias, ajoute : « Selon moi, il y a suffisamment de journalistes qui entrent dans les prisons, même si le traitement de l’information est rarement idéal. Il ne faut pas oublier les médias alternatifs qui traitent cette thématique sous d’autres formes, comme les documentaires ou les bande-dessinées. »

Le journalisme de solution comme compromis

Logo du nouveau projet de La Libre Belgique : "Inspire" (Capture d'écran du site lalibre.be).

Logo du nouveau projet de La Libre Belgique : “Inspire” (Capture d’écran du site lalibre.be).

Il y a toutefois une prise de conscience qui semble émerger dans les médias traditionnels. Une forme de journalisme de solution qui ne veut pas dépeindre un monde tout rose, mais qui veut montrer les démarches qui existent pour résoudre certains problèmes de notre société.

La Libre a par exemple lancé sa nouvelle plateforme “Inspire”. Ce projet est né dans la tête de Gilles Toussaint, il y a six mois, après avoir découvert la rubrique « #solutions » de Nice-Matin. En pleine crise, le média local français s’est totalement relancé grâce à cette initiative. Gilles Toussaint, qui est alors dans la rubrique internationale, veut changer d’air et parler de ce qui va bien. Il propose le projet à ses collègues et à ses dirigeants et réalise que le projet plaît, enthousiasme et rassemble une rédaction qui est souvent enfermée dans sa rubrique.

« Le but est aussi de revenir vers le citoyen, de faire du journalisme de proximité. On a pris conscience de notre écartement du terrain et nous avons voulu remédier à ça. »

Ce type de journalisme existe déjà dans les médias, que cela soit en TV, en radio, dans les magazines papier ou sur le web. Mais ce qu’il y a de neuf, c’est d’en une faire une rubrique à part entière dans un quotidien belge. « Le but est de donner une autre fenêtre sur l’actualité, un à côté de nos articles plus classiques, qui permet de changer de point de vue. »

Selon Gilles Toussaint, cette démarche pourrait être entreprise par d’autres médias prochainement : « L’enthousiasme qu’a déclenché cette initiative dans notre rédaction n’a rien d’exceptionnel, et d’autres médias aspirent probablement à réaliser ce genre de projets, sans nécessairement adopter la même forme. » Le papa d’Inspire reste réaliste : « Ce journalisme qui a pour but de revenir vers le citoyen surfe sur le succès du film “Demain” et est plutôt une mode. Je ne sais pas s’il va parvenir à persister sur le long terme, mais il a pour but profond de mettre en valeur des initiatives marginales il y a dix ans, qui se multiplient aujourd’hui. »

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