Manifestante au Caire. Pauline Beugnies. 2016
30
Mar
2016

À l'heure de l'information instantanée, le photojournalisme perd du terrain... au point de disparaître ? Rencontre avec Pauline Beugnies.

Manifestation au Caire. Photo : Pauline Beugnies (2016)

À l'heure de l'information instantanée, le photojournalisme perd du terrain... au point de disparaître ? Rencontre avec Pauline Beugnies.

30 Mar
2016

Pauline Beugnies : “Les photojournalistes n’ont pas encore disparu des rédactions”

Pauline Beugnies a 33 ans, et déjà une belle carrière de photojournaliste à son actif. Du Caire à Charleroi en passant par la Palestine, elle dresse le portrait d’un métier souvent méconnu ou idéalisé, loin des clichés. Rencontre.

Être photojournaliste, ce n’est pas un peu fermé comme profession ?

Ce n’est en tout cas pas très ouvert ! Il faut faire son trou, c’est clair. Il faut savoir dans quelle direction on veut aller et, surtout, se donner les moyens. En sortant de mes études, on a créé un collectif, avec quatre copains. C’était une façon de s’échanger les contacts et de partager les frais. Se lancer comme indépendant directement relève presque de l’impossible, à moins d’avoir de belles économies. Les books, la communication pour se faire connaitre… ça a un prix.

Se cantonner à la photo donc, on peut en vivre ?

Si on a beaucoup de chance, oui. Dans mon cas, c’est compliqué. Je me suis diversifiée dans les supports et les formats, mais aussi parce que je me sentais limitée pour dire ce que je voulais. Tout comme la photo n’est pas réservée aux photographes, l’écriture n’est pas réservée aux journalistes. J’ai donc sorti un livre, “Génération Tahrir”, car je suis convaincue de l’importance de l’information de fond. Du texte et des photos, ça permet de rendre une information plus complète, moins manichéenne, comme c’est trop souvent le cas en Europe.

"Génération Tahrir". Pauline Beugnies. 2016.

“Génération Tahrir”. Pauline Beugnies. 2016.

Le photojournaliste n’est aujourd’hui plus une évidence pour chaque rédaction. Beaucoup de journalistes prennent eux-mêmes leurs photos avec leur téléphone, ce qui représente un gain de temps et d’argent. Comment les photojournalistes se battent-ils contre cette réalité ?

Les photographes et photojournalistes n’ont pas encore disparu des rédactions, même si on a l’impression du contraire. Maintenant, c’est clair qu’en presse locale par exemple, c’est presque impossible pour nous de travailler. Les petites rédactions n’ont pas les moyens de payer pour des photos. En presse nationale, ça va déjà beaucoup mieux : les photojournalistes sont moins nombreux, mais loin d’avoir disparu. En presse internationale, en magazine ou en mook, on emploie beaucoup de photojournalistes.

On imagine que comme les journalistes, les photojournalistes ne gagnent pas souvent bien leur vie par rapport au travail qu’ils font…

Les prix diminuent avec le temps, c’est affolant. Je ne suis photojournaliste que depuis 10 ans, et pourtant, depuis 2009 par exemple, un portfolio se vend 500 euros de moins ! Le problème, c’est qu’il n’existe pas de syndicat qui défendrait les photographes et qui pourrait établir un prix plancher… Il est donc très facile pour les patrons de décider des tarifs, et d’aller chez le moins cher, même si c’est bien au-dessous de la valeur réelle du travail. La France paie mieux que la Belgique, mais il n’y a pas assez de demande. Et puis avant, tous les journaux avaient leur base de données photographiques qui était alimentée régulièrement. Ce n’est plus le cas. L’Obs a réinstauré un portfolio récemment, mais ce n’est pas le cas partout. Les photographes ne savent plus où vendre leurs photos.

Lire aussi : Photojournaliste, un métier rongé par la précarité (Libération)

Pour percer, faut-il avoir sa signature photographique ?

Pour moi, non. Beaucoup de journalistes sont convaincus qu’ils doivent avoir leur marque de fabrique, parfois même inventer un genre nouveau. Pour moi, ce n’est que de l’emballage. Je ne me dis pas avant chaque prise que je dois prendre ma photo de telle ou telle façon. Ça dépend du contexte, de l’instant, de ce qu’on veut faire passer. Pour moi, la puissance d’une photo ne réside pas dans sa forme, mais dans son fond, dans ce qu’elle transmet à un moment donné. J’adapte sans cesse mon style au sujet, à ce que je raconte.

"Manifestante au Caire" . Pauline Beugnies. 2016.

“Manifestante au Caire”. Pauline Beugnies. 2016.

Vous avez travaillé plusieurs années au Caire, en Égypte. Une femme photojournaliste dans le monde arabe, ce n’est pas une situation impossible ?

Pas du tout, au contraire ! J’ai eu accès à des lieux où les hommes n’ont pas droit de visite : les cuisines, les chambres des femmes, leur intimité. À l’inverse, j’ai pu suivre des hommes, ce qui est interdit pour les femmes là-bas. Être une femme photojournaliste dans un pays arabe, ça confère une sorte d’hybridité : on a le droit d’être avec les femmes ou avec les hommes, là où le mélange des genres est normalement interdit. En tant que femme occidentale, on ne me confine pas au même statut que la femme musulmane et les restrictions qui l’accompagnent.

Il faut cependant rester très prudente, il y a beaucoup d’agressions là-bas. Le tout est de faire attention. Comme d’éviter certaines foules et les mauvais endroits tard le soir. Lorsque j’ai assisté au début de la révolution en Égypte, par exemple, je n’ai plus été sur la place Tahrir après quelques jours, car je sentais le danger. Il y avait beaucoup de rassemblements, ça chauffait. On relatait beaucoup de viols et d’agressions. Beaucoup de journalistes femmes TV ont été agressées car elles devaient « faire un direct à 20h » en plein sur la place, au milieu de la foule. Ce n’était pas très malin de les envoyer là. Il faut savoir dire « stop » et voir les limites entre le devoir de l’information et sa propre sécurité. Mais quand on a fixé ces limites, tout se passe bien. Et puis, ce n’est pas la jungle non plus ; certains quartiers de Bruxelles sont aussi déconseillés tard le soir. Il ne faut pas croire que le danger ne se situe qu’à l’étranger. Le tout est de connaitre son terrain.

Pauline Beugnies, le temps comme engagement

Originaire de Charleroi, Pauline Beugnies est sortie de l’IHECS en 2005. Armée de son objectif et d’une furieuse envie d’apprendre l’arabe, elle s’établit au Caire de 2008 à 2013. Elle assiste, aux premières loges, à la naissance du “printemps arabe”. Du Congo au Bangladesh, en passant par l’Albanie, la Palestine et la Belgique, Pauline Beugnies fait partie de ces photographes engagés qui s’accordent le temps de s’imprégner de leur sujet. Avec la volonté d’établir des ponts entre les cultures et de déconstruire les stéréotypes.

Pauline Beugnies ne compte plus ses collaborations : Le Monde, Libération, L’Express, Elle Belgique, De Morgen, The New York Times, Colors… Disposant de plusieurs cordes à son arc, la photojournaliste a cosigné en 2013 un webdocumentaire intitulé “Sout el Shabab” (La voix des jeunes), à découvrir sur le site de France Culture. Début 2016, c’est un livre, “Génération Tahrir“, qu’elle signe avec le dessinateur Ammar Abo Bakr. Son premier film documentaire est en cours de finalisation et devrait être visible en septembre 2016.

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