14
Jan
2015

Ce que l’affaire Brown dit de la société américaine : l'analyse de Jean-Paul Marthoz, membre de Human Rights Watch.

Ce que l’affaire Brown dit de la société américaine : l'analyse de Jean-Paul Marthoz, membre de Human Rights Watch.

14 Jan
2015

“Ferguson, un test de l’acceptation des Etats-Unis d’avoir un président noir”

Jean-Paul Marthoz

Jean-Paul Marthoz. Photo D.R.

Le 9 août dernier, Michael Brown, un jeune noir-américain âgé de 18 ans a été tué par le policier Darren Wilson alors qu’il n’était pas armé. Suite au jugement prononcé par la justice américaine exonérant le policier de toute responsabilité dans cette affaire, de nombreux mouvements contestataires ont éclaté dans la banlieue de Saint Louis, Missouri. Jean-Paul Marthoz, journaliste ayant longtemps observé la situation américaine, il a écrit plusieurs ouvrages sur les États-Unis et leur politique en matière de droits humains.

Comment expliquez-vous la violence des mouvements de contestation sur l’affaire Brown ?

Jean-Paul Marthoz : Il y a en réalité deux mouvements de contestation. L’un sur la décision de la justice de ne pas poursuivre le policier, l’autre sur la question des droits de l’homme et de manière plus générale, sur la situation de l’égalité raciale aux États-Unis. Près de quarante ans après l’adoption des droits civiques en 1964, une étape extraordinaire dans la lutte pour l’égalité des droits de l’homme, on ne peut que constater que la communauté noire apparaît très nettement dans une situation où ses droits ne sont pas respectés de la même manière que ceux d’autres minorités. Il y a toute une série de chiffres qui attestent de cette situation : la proportion de jeunes noirs victimes de tirs de la part de la police, la question de la prééminence des forces de police blanches chargées de quartiers majoritairement noirs, la question du taux disproportionné de noirs incarcérés aux USA…

Il y a clairement aujourd’hui aux États-Unis un problème racial qui n’a pas été résolu. Il s’agit là d’une réalité sociale bien réelle, celle d’une communauté noire qui reste fortement marquée par des conditions sociales et économiques nettement inférieures à celles que connaissent les autres communautés mais également marquée par des phénomènes de discrimination persistants. Malheureusement, il existe depuis très longtemps un immense fossé entre la communauté noire qui estime être visée spécifiquement par les forces de police et les forces policières qui estiment quant à elles que les noirs sont le plus souvent des suspects de délinquance.

Comment réagissez-vous par rapport à l’acte de défense du policier face à la justice américaine ?

J.P. M. : Dire qu’il aurait tiré même si Michael Brown avait été de race blanche est une position de défense absolument logique de sa part ! Il ne peut, en aucun cas, laisser percer le moindre soupçon sur le fait qu’il aurait agit de cette manière simplement parce que Michael Brown était noir. Il y a eu un certain nombre d’interrogations sur la difficulté d’établir la vérité sur la base de témoignages. Quelles que soient les déclarations de Darren Wilson, s’il n’y pas une véritable réflexion sur l’engagement des forces de police, nous allons assister à une sorte d’impunité qui est devenue la règle aux États-Unis lorsque les forces de police réagissent de cette manière. On constate une militarisation beaucoup trop importante des forces de police et des règles d’engagement, privilégiant ainsi une forme de réaction de la police qui peut conduire à ce genre de situations regrettables. On a l’impression que la première réaction par défaut c’est de tirer alors que ça ne devrait être que l’ultime recours. Les forces de police doivent veiller au contraire à avoir une riposte proportionnée à la menace dont elle font l’objet. Or, tout indique aux USA que dans les relations entre les forces de police blanches et la communauté noire, il y a un recours beaucoup trop rapide à la violence extrême. De plus, il y a eu récemment le cas de cet enfant de 12 ans à Cleveland muni d’un revolver en plastique et qui a été tué en quelques secondes par un policier. C’est un phénomène qui n’est donc pas isolé et qui prouve qu’il y a véritablement une riposte beaucoup trop rapide de la part des forces de police lorsqu’elles croient être menacées.

Le cas Ferguson révèle-t-il un refus des américains d’avoir un président issu de la communauté noire ?

J.P. M. : Il faut savoir que lors de la victoire de Barack Obama en 2008, une partie de la communauté blanche a refusé qu’il soit président simplement parce qu’il était noir. Je pense donc en effet que son élection a attisé, dans les milieux plutôt anti-noirs, des sentiments qui se traduisent aujourd’hui au niveau électoral, notamment par la montée en force, au sein du parti républicain, des représentants de la droite la plus extrême. C’est un élément qui me paraît important dans la polémique actuelle : le cas Ferguson est un test de l’acceptation ou du refus de la légitimité d’un président issu de la communauté noire. Au-delà des questions du maintien de l’ordre et des relations entre forces de police et population afro-américaine, il y a vraiment un problème politique aux États-Unis. On est face à deux populations qui manifestement se méfient énormément les unes des autres. L’élection d’Obama a provoqué une certaine réaction politique au sein d’un électorat blanc qui est resté, il faut bien le reconnaître, très raciste. Ce qui a été jusqu’à provoquer une radicalisation de la part de ceux qui éprouvaient déjà des sentiments de supériorité ou d’agressivité par rapport à la communauté afro-américaine.

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