10
Fév
2016

Champagne, cortège, jet d’oranges et feu d’artifice. Suivez un grelot de Gille au coeur du Mardi Gras

Champagne, cortège, jet d’oranges et feu d’artifice. Suivez un grelot de Gille au coeur du Mardi Gras

10 Fév
2016

Carnaval de Binche : immersion dans l’intimité du Mardi Gras, un grelot pour simple guide.

Le Grelot est l’un des accessoires centraux du costume de Gille. À Binche, il est de sortie uniquement le Mardi. C’est lui qui est aux premières loges de ce rite folklorique, accompagnez-le. Découvrez son récit.

4 h du matin : je suis toujours rangé, au sol, sanglé à mon compagnon de cloche : l’apertintaille. Lui a déjà eu l’occasion de sortir lors des « soumonces » ; moi, je fais ma grande première aujourd’hui. Je sens que mon heure va venir, ça s’agite autour de nous. Les quelques fétus de paille qui jonchent le sol m’agressent, mais ma dorure reste intacte, j’ai déjà patienté un an… plus que quelques minutes.

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5 h du matin : une main vient me dissocier de l’apertintaille, je suis secoué, mais prêt à remplir mon rôle. J’émets déjà mes premiers tintements, pour le plus grand plaisir ou déplaisir des curieux réunis. La boucle de ma bride glisse par le passant de cuir de la blouse, je suis quelque peu ajusté et serré. Les mains s’écartent et je suis enfin mis à l’honneur : je trône fièrement sur le plastron noir-jaune-rouge. Les minutes passent et l’activité autour de moi cesse peu à peu. Tout à coup, une sensation étrange m’extirpe de mon confort. Ce sont les bulles des flûtes de Champagne qui viennent me chatouiller.

5 h 30 : je suis secoué par les premiers pas de danse. Ça me donne une sacrée nausée ! Tôt pour certains, tard pour les habitués, ces moments sont les plus particuliers. Malgré tout, je me calme lorsque je reçois quelques caresses d’homonymes grelots à trois reprises à chaque fois. C’est qui arrive quand les Gilles se saluent une accolade, bosse contre bosse. J’adopte le rythme et commence même à l’apprécier. Certaines notes me donnent un large sourire, notamment celles, délicates, du fifre sur lesquelles je me fais tout petit pour ne pas les étouffer.

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7 h 30 : des odeurs de mer viennent soudain parfumer ma coquille. Je ne suis pas épargné d’un peu de jus d’huître, pas très ragoûtant ma foi. Mais très rapidement, on me refait une beauté. Être chouchouté, c’est aussi ça la vie de grelot. Être l’accessoire brillant qui attire l’œil au centre du costume.

8 h 30 : je prends l’eau. Cette année, il semblerait que « L’bon Dieu » ne soit pas « Binchou ». Serrés en rang d’oignon, nous prenons possession de la Grand-Place. Les gouttes de pluie commencent à se faire sentir. Je suinte, je grelotte même. Mon Gille au moins est protégé par son masque de cire.

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9 h 30 : On dirait une accalmie, les gouttes ne tombent plus. En regardant aux alentours, je vois que nous sommes rentrés quelque part, mais nous dansons toujours. La batterie s’arrête alors, remplacée par un discours audacieux. Je n’écoute que d’une oreille, je commence à appréhender ce qui va suivre. Les yeux se tournent vers moi, je suis découvert. Mon assiduité de 25 ans de participation est récompensée. Appelé, je suis acclamé et une médaille au ruban noir-jaune-rouge vient me tenir compagnie. Je ne suis plus le seul pendentif brillant autour du coup de mon Gille. Cette médaille m’accompagnera jusqu’à la fin de cette journée. « Et vive le Carnaval » sont les mots qui ponctuent ce moment où la passion et la ferveur à faire perdurer la tradition sont mises en avant.

11 h : je suis de plus en plus secoué et cela m’encourage à m’agiter et m’exprimer. Je sens l’intensité monter. L’ambiance atteint son apogée, tout le monde communie. Toute la ville tremble au son des treize batteries. Ça roule ! Les coups de baguettes sur les tambours rythment le martèlement des pavés, celui-ci est plus franc et prononcé. Les « Avant Diner » se succèdent, les sourires aussi.

13 h : à mon plus grand regret, je suis délogé de mon petit nid feutré, creusé à même la paille. La première partie de ma mission est déjà accomplie, mais il faut reprendre des forces pour la poursuivre. Je rejoins l’apertintaille et mes consœurs cloches pour une pause.

15 h : fini de rêvasser ! Un coup de semonce nous sort tous de notre torpeur. Le stress du timing nous pousse à reprendre du service. La marche jusqu’au point de départ du cortège se fait déjà sous le regard des curieux.

16 h : cette fois, nous sommes au complet, au centre de toutes les attentions. Sous le regard des quelques dizaines de milliers de personnes présentes le long de l’itinéraire du cortège, je parviens tout de même à trouver un peu d’intimité et peux ainsi prendre part à un speed-dating. Une série de petites têtes rousses à l’odeur d’agrume me tiennent la conversation. Tantôt, elles s’agitent dans la main du Gille sur l’un des vingt-six fonds musicaux disponibles, et ce pendant quelques minutes. Tantôt, je n’ai même pas le temps d’admirer leur peau d’orange que celles-ci s’envolent vers d’autres cieux en guise d’offrande, sans même me prêter le moindre intérêt.

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20 h : l’obscurité a pris le dessus, je ne sais plus vraiment où je suis, je ne vois plus très bien ce qui m’entoure, mais je sais que je ne suis pas seul, j’entends mes frères non loin de là. De plus, les pavés me sont familiers, je suis déjà passé par ici. J’en reçois la confirmation lorsqu’une lumière expulsée d’une fusée éclairante illumine l’horizon. Celle-ci se réfléchit sur mes rondeurs comme des étoiles. Le cortège du soir satisfait les derniers curieux et amateurs de danse. L’ambiance, elle, est encore plus particulière, le plaisir se fait sentir dans chaque moment.

20 h 30 : ouarf, on n’y respire plus ici ! Une petite fumée au goût de suie m’asphyxie presque totalement. Heureusement, je retiens ma respiration pendant quelques secondes avant de retrouver l’air frais. Toutefois, la lumière rouge projetée par les feux de Bengale sur les murs de la cité compense par son merveilleux. L’embrasement de la cité s’oppose à l’hiver présent, le poussant vers la sortie pour faire place au printemps.

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22 h : une série d’explosions me sort de ma transe, je vibre. Je suis ballotté de gauche à droite, d’un coin à l’autre de la Grand-Place. Je lève les yeux pour les remplir de ces éclats de lumières ô combien attendus par les amateurs d’artifices, mais tout autant redoutés par les Gilles : la fin est malheureusement proche. Garder chaque image en mémoire, chaque moment de partage jusqu’à la clameur générale, satisfaite du spectacle offert par tous.

23 h : dans un ultime effort, je m’agite et sonne de mon plus beau timbre. Je sens que l’apothéose est proche. Une dernière annonce par le trompettiste sonne le dernier air, le grand final, « Le Petit jeune homme de Binche ».


Une dernière occasion pour chasser l’hiver, un dernier effort rempli d’émotion avant un long repos, trop long pour moi comme pour d’autres. Pour certains, la soirée se prolongera jusqu’aux premières lueurs du jour, toujours plus loin, mais pas plus tard. Plus Oultre !

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