17
Avr
2016

Selon le président du Bondy Blog, le passé migratoire de la France devrait être enseigné aux jeunes générations.

Selon le président du Bondy Blog, le passé migratoire de la France devrait être enseigné aux jeunes générations.

17 Avr
2016

Nordine Nabili : “L’histoire des banlieues françaises est quasiment oubliée”

En passant une semaine en banlieue parisienne, à Bondy plus exactement, je découvre le clivage marqué entre la périphérie et Paris intra-muros. J’arrive évidemment avec les clichés, les histoires que l’on m’a racontées sur la banlieue. Certains stéréotypes sont démontés, d’autres confirmés. Oui, certains immeubles sont en piteux état. Oui, marcher seul le soir peut paraître angoissant, mais une fois que je discute avec les jeunes qui traînent dans les halls, ils m’accueillent avec le sourire et sont ravis de voir débarquer un Belge. Ce qui est certain, c’est qu’il est impossible de comprendre la vie ici sans s’intéresser à l’histoire des quartiers dits « sensibles » et de l’immigration en France. Si la banlieue française n’est pas une réalité transposée telle quelle à Bruxelles, l’histoire de l’immigration des Italiens ou des Marocains n’en reste pas très différente de celle des Algériens de Paris. J’apprends que je ne suis pas le seul à ne pas bien connaître cette histoire de l’immigration et que, même ici à Bondy, elle n’est pas enseignée dans les lycées… En tant qu’étudiant en journalisme en immersion au Bondy Blog, j’ai rencontré Nordine Nabili, le directeur de la rédaction, qui a beaucoup de choses à me raconter à ce sujet.

Nordine Nabili

Nordine Nabili consulte la presse du jour dans la rédaction du Bondy Blog. Photo : Bruxelles Bondy Blog

 

Comment résumer l’immigration des banlieues comme celle de Bondy ?

Ce que l’on constate, c’est qu’il y a un malentendu avec les générations françaises dont les parents sont nés ici, c’est-à-dire toute cette vague d’immigration des années 50 et 60 qui est venue travailler dans les usines, dans les entreprises, dans le monde industriel français post-Seconde Guerre mondiale, durant les Trente glorieuses. La France avait besoin de main-d’oeuvre pour reconstruire son pays mais elle n’était pas la seule. Une partie des pays européens était dans le même cas, et donc forcément le réservoir de main d’œuvre était constitué par les anciennes colonies.

D’abord, on a fait venir des Tirailleurs sénégalais à la fin des années 30 pour combattre le nazisme. On peut donc considérer que les vagues, notamment maghrébines et subsahariennes, sont arrivées à partir de  la fin des années 40. Évidemment, elles se sont installées ici et d’autres sont venues. Il y avait même un secrétariat d’État à une époque ici qui allait chercher la main-d’oeuvre étrangère et qui allait la sélectionner. Il y avait toute une organisation pour attirer la main-d’oeuvre ici en France.

Cette histoire est-elle enseignée aux jeunes Français ?

Il se trouve que toute cette histoire est quasiment ignorée, oubliée ou elle existe dans les recoins de l’histoire de ce pays et non dans la « grande Histoire française et familiale ». On a tous un grand-père qui est venu s’installer ici dans les années 60 mais cette histoire n’est pas valorisée. Or, ce que nous vivons aujourd’hui dans les sociétés européennes, et particulièrement en France, c’est une espèce de reflux de tout ça : c’est vu comme matière à confrontation, comme une espèce de situation où les uns demandent la repentance aux autres. En France, actuellement, il y a tout un courant qui veut absolument que l’on mette l’histoire coloniale sur la place publique et que l’on répare tout. C’est perçu comme une agression. Forcément, on assiste à une riposte et à une surenchère de joutes verbales. En réalité, ce sont tous des identités blessées.

Je fais partie des gens qui considèrent que la France a une histoire qui passe mal et qu’elle ne peut pas continuer éternellement à se percevoir comme une grande Nation, sans faire le bilan de ses actions. On en est tous comptables, parce qu’on est tous français. C’est pour ça qu’il faut que les jeunes comprennent l’histoire des générations précédentes, qu’on leur enseigne, qu’on leur dise en quoi elle s’inscrit dans la grande histoire, pourquoi leurs grands-parents sont venus en France, où est-ce qu’ils ont travaillé, pourquoi ils ont quitté leur pays d’origine, dans quelles conditions ils ont vécu ici, ce qu’ils apporté en termes économiques, culturels, sociaux, culinaires…

Si aujourd’hui, c’est tout à fait naturel pour un jeune Français, quelle que soit son origine, d’aller manger un couscous ou un mafé (NDLR : plat sénégalais) dans un restaurant parisien, c’est le résultat de toute une histoire. Si aujourd’hui on a des stars du football qui jouent en équipe de France et qui ont un prénom maghrébin, c’est aussi le résultat d’une histoire. Tout ça, il faut l’enseigner car ce ne sont pas des accidents. C’est un processus historique qui a des conséquences aujourd’hui, dans la vie quotidienne. C’est aussi constitutif de l’identité française, et même européenne. L’Europe, ce n’est pas que des chrétiens blancs ; on peut aussi être européen et musulman, juif, protestant, bouddhiste…

 

Les générations se croisent dans les rues de Bondy. Photo : Simon Breem

Les générations se croisent dans les rues de Bondy. Photo : Simon Breem

Comment remédier à ce silence ?

Cette question-là, la société française ne s’en est pas emparée afin que les enseignants puissent la transmettre aux jeunes. Elle ne l’a pas enseignée aux journalistes non plus qui, eux, traitent de l’actualité française matin, midi et soir, à travers un certain nombre de questions. On a donc aujourd’hui un corps professionnel qui n’a pas rencontré cette histoire dans son cursus d’éducation, qui ne connaît pas forcément l’origine des zones urbaines sensibles. Exemple : pourquoi, à un moment donné dans les années 50, on a lancé des grands plans de construction dans les périphéries des villes car les gens mourraient de froid dans les rues de Paris…

Quand j’explique aux jeunes comment leurs parents sont venus ici, ils en ont presque les larmes aux yeux parce que ce n’est pas une histoire qui leur a été racontée chez eux. Il y a une espèce de pudeur chez les premières générations qui n’ont pas su raconter cette histoire-là ou qui ont voulu la cacher ou l’intérioriser. Il faut un peu ouvrir tout ça, il faut arrêter de mettre nos petits secrets franco-français sous le tapis. Il faut soulever le tapis, tout ça va remonter, on va éternuer, on va s’engueuler, on va pleurer, ça va nous faire mal. On passera un sale quart d’heure quand on en parlera car on se dira des choses dont on n’est pas fiers d’un côté comme de l’autre, mais c’est important pour les nouvelles générations. Ça peut être la matière qui peut reconstruire la cohésion puisque ces jeunes générations n’ont pas d’autre patrie à servir : ils sont français, ils sont européens et donc ils auront à construire un destin commun.

 

Photo : Simon Breem

Parvis de l’hôtel de Ville à Bondy, avril 2016. Photo : Simon Breem

 

On en est loin aujourd’hui ?

Il faut rompre avec l’idée que certaines catégories de Français quitteront la France parce qu’on aura décidé qu’il y a a des Français qui sont plus français que d’autres, seulement parce qu’ils sont là depuis plus longtemps. Pour moi, tout ça c’est du charabia politique, populiste, qui finalement n’alimente que le conflit voire même le terrorisme. Quand on voit certaines revendications djihadistes, on voit bien que tout ce séparatisme, cette stigmatisation autour de la religion musulmane, ne fait que nourrir et donner du crédit à des thèses encore plus barbares qui pourraient mettre à feu et à sang certains pays européens.

Quand vous avez aujourd’hui une classe dont la moitié des gamins s’appellent Mohammed, Moussa, Slimane ou Julien, ils ont une histoire commune : ils sont français, tous. Les générations qui les ont précédés étaient partie prenante aussi d’un certain nombre de conflits : les élites françaises avaient 20 ans lors de la guerre d’Algérie, certains ont été combattre là-bas. On a l’impression que cette guerre existe encore dans les imaginaires, que le bilan n’a pas été fait, que les enseignements n’ont pas été tirés. On a besoin aujourd’hui de l’école, des professeurs, des écoles de journalisme pour raconter tout ça, de façon à mieux comprendre qui on est et comment la société française en est arrivée à avoir ce visage multicolore.

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