27
Fév
2015

La dette de guerre allemande : une tactique du parti Syriza pour peser dans les négociations.

La dette de guerre allemande : une tactique du parti Syriza pour peser dans les négociations.

27 Fév
2015

Et si l’Allemagne remboursait sa dette de guerre à la Grèce ?

Les chiffres controversés de la dette allemande

infographie du duel entre la Grèce et l'Allemagne

Duel entre la Grèce et l’Allemagne. Infographie : Romain Thiry

Combien l’Allemagne doit-elle à la Grèce ? D’après Berlin, rien du tout. 162 milliards, selon Alexis Tsipras, le nouveau premier ministre hellène. D’autres sources annoncent 68, 81, voire même 1000 milliards d’euros !
Un double désaccord existe : sur l’existence même d’une dette allemande, mais aussi sur la valeur de celle-ci.
Quel est le véritable montant de la dette que l’Allemagne devrait à la Grèce suite à la Seconde Guerre mondiale ?
Afin de démêler cette querelle de chiffres, il est important de mettre en lumière le déroulement historique de cette affaire.

Conférence de Paris
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Conférence de Paris de 1945 sur les réparations décide des compensations imposées à l’Allemagne. Un total de sept milliards de dollars américains (au taux d’avant-guerre) y est fixé pour la Grèce.
Cependant, pour Hagen Fleischer, professeur émérite en histoire contemporaine à l’Université d’Athènes et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, la lumière doit être faite sur ce « montant d’indemnités ». Ce total de sept milliards n’a pas été déterminé en tant que montant fixe : « le but de cette conférence n’était pas de venir avec un montant absolu, mais de calculer des répartitions en pourcentages d’un total de réparations encore inconnu ».

Ces critères de répartition du montant global, principalement établis par les USA, étaient fortement en faveur des grandes puissances (plutôt que des petits alliés). De manière générale, ces calculs accordaient plus d’importance aux contributions à l’effort de guerre consenti (les dépenses de guerre, les services d’armées) qu’à la souffrance, la mort, la destruction ou aux efforts de résistance.
Selon l’ancien résistant grec et actuel député du parti Syriza, Manolis Glezos, en prenant en compte l’inflation, ces 7 milliards de dollars de 1946 représentent aujourd’hui 108 milliards d’euros.

La conférence de Londres
Le 27 février 1953, 21 créanciers de la République Fédérale Allemande décident d’un effort exceptionnel pour aider le pays, notamment par une réduction massive de sa dette. Les puissances occidentales veulent à tout prix éviter de répéter les erreurs du Traité de Versailles, qui avaient plongé l’Allemagne dans la misère et avaient, en quelque sorte, permis l’ascension du parti national-socialiste. Il est aussi essentiel aux créanciers européens de ménager leur nouvel allié de l’ouest, pays à la frontière du bloc communiste.
Plusieurs points fondamentaux sont fixés au cours de cette rencontre entre créanciers (éléments condensés par le Nouvel Observateur d’après le rapport officiel de l’accord):
La dette est réduite de 62% : elle passe de 39 milliards à 14,5 milliards de deutschemarks ;
Un moratoire de cinq ans est accordé ;
Un délai de 30 ans est prévu pour rembourser ;
Le pays peut limiter le paiement du service de sa dette à 5% de ses revenus d’exportation ;
Si, du fait d’une mauvaise conjoncture, la RFA connaît des difficultés pour rembourser ce qui reste, il est prévu une suspension des paiements et une renégociation des conditions ;
Les taux d’intérêts sont réduits ;
Les demandes de réparations sont renvoyées à plus tard (concrètement, à une future unification des deux Allemagne…)
etc.
« A partir de là, l’Allemagne s’est portée comme un charme pendant que le reste de l’Europe se saignait aux quatre veines pour panser les plaies laissées par la guerre et l’occupation allemande », résume l’historien de l’économie allemand Albrecht Ritschl, professeur à la London School of Economics, dans un entretien avec Der Spiegel.
À la toute fin des années 50, sous la pression des nations de l’Ouest, le gouvernement du chancelier Konrad Adenauer accepte de payer une partie de sa dette pour ceux « affectés par les persécutions nationales-socialistes sur base de leur race… ou de leur vision du monde ». Ce payement est considéré par la République Fédérale Allemande comme une « compensation volontaire ». La Grèce reçoit un premier versement allemand : 115 millions de Deutsch Marks (environ 58 millions d’euros). Ce versement sera aussi le dernier : il demeure aujourd’hui la seule dette payée par l’Allemagne à la Grèce.
« D’autres compensations pour les dommages de guerres ont été refusées par Berlin, soi-disant en attente d’une réunification des deux Allemagne. Une fois le pays unifié, les Allemands pourraient alors honorer ces ‘’remboursements’’. Mais c’était un secret de polichinelle que le gouvernement allemand tentait de postposer le payement indéfiniment, même après la réunification », affirme Hagen Fleischer dans un édito pour The Guardian.
Ce à quoi l’historien grec Nicolas Bloudanis ajoute qu’il existait un « accord plus ou moins tacite entre pays de l’Union européenne en 1992 ainsi que les Etats-Unis, l’Allemagne représentant sans doute une puissance économique et stratégique trop importante à l’époque ».

Le prêt forcé
Les compensations allemandes envers l’état grec fixées en 1953, ne tenaient cependant pas compte d’une autre dette, très facile à chiffrer cette fois. Il est question ici du prêt forcé de 476 millions de reichsmarks, imposés par l’occupant allemand à la Banque centrale grecque en 1941.
Selon les calculs des spécialistes, cette somme en reichsmarks équivaut aujourd’hui à environs 14 milliards de dollars américains. En appliquant à ce montant le taux d’intérêt classique de 3% sur la durée de 70 ans, le total atteint 107 milliards de dollars (94 milliards d’euros).
Le député de Syriza avance, de son côté, le chiffre d’un prêt forcé non pas de 476 millions de reichsmarks, mais de 3,5 milliards de dollars. Avec l’inflation, il s’élèverait jusqu’à 54 milliards d’euros. Son calcul est simple : ces 54 milliards, additionnés aux 108 de 1945 (de la conférence de Paris) donnent un montant de dette total de 162 milliards d’euros. En appliquant le taux d’intérêt habituel de 3%, l’addition se porterait à… plus de 1000 milliards ! Ce à quoi Glezos ajoute, non sans ironie, « mais nous pouvons accepter une coupe sur les intérêts ».

Le refus allemand
L’Allemagne a signifié un certain nombre de fois qu’elle se considérait libre de toute dette envers la Grèce. La république fédérale ne peut évidemment échapper au droit international. Cependant, la complexité de la situation aide à la conservation d’un statut quo et d’une passivité internationale.
Les arguments allemands :
La république ne reconnait pas les accords de Paris, au vu de l’inexistence d’un état allemand reconnu à cette époque (la RFA naîtra en 1949) ;
L’accord de Londres de 1953 ne fait nulle mention de compensations (bien qu’une annulation des réparations décidées en 1946 n’y soit pas non plus actée) ;
En ce qui concerne le « prêt forcé » de la Banque centrale grecque, la fédération allemande considère qu’il faisait partie intégrante des dommages de guerre dont elle s’est acquittée, l’accord de Londres n’en faisant aucune allusion.
Au début des années 1990, l’argument le plus souvent utilisé par les membres du gouvernement de Berlin était le laps de temps écoulé depuis la Seconde Guerre mondiale (bien que l’Allemagne fût encore, en 1974, forcée à payer des compensations de la Première Guerre mondiale).
La Grèce a, depuis lors, reçu d’importants montants de soutien bilatéral de l’Otan et de l’Union européenne, montants dont l’Allemagne serait le plus gros contributeur.
Enfin, l’Allemagne s’appuie sur le traité de Moscou de 1990, dit de « 4+2 », qui reconnaît la réunification allemande. Ce traité (ratifié par la Grèce), s’il a bien « valeur de traité de paix », n’en est pas officiellement un. Le chancelier Helmut Kohl a réussi à ce qu’il ne soit pas véritablement fait mention de « traité de paix » (selon Le Monde), condition prévue dans le traité de Londres de 1953 pour d’éventuels remboursements. « C’était un moyen de continuer à fuir les réparations”, souligne le Süddeutsche Zeitung. En ratifiant ce traité, la Grèce a perdu, aux yeux de Berlin, toute légitimité à réclamer des réparations. “Dans la pratique, l’accord de Londres de 1953 libéra les Allemands de leur obligation de rembourser leurs dettes de guerre”, résume le quotidien allemand.
Par le traité « 4+2 », les alliés « renonçaient alors à leurs droits sur les vaincus de 1945 » rappelle Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie allemand.

La République fédérale allemande n’a dédommagé qu’une seule fois la Grèce (en 1960) à hauteur de 115 millions de deutsche Marks (environ 58 millions d’euros). Depuis cette date, l’Allemagne estime s’être acquittée de sa dette, tandis que la Grèce réclame son dû, dont le total colossal augmente au fur et à mesure que les années passent.

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