15
Déc
2014

Une semaine dans la vie d'un journaliste au Bruxelles Bondy Blog.

Une semaine dans la vie d'un journaliste au Bruxelles Bondy Blog.

15 Déc
2014

Le chemin de l’info : un parcours souvent chaotique

Vous êtes-vous déjà demandé le sort réservé aux informations qui atterrissent dans les salles de rédaction ? Qui va les traiter ? Pourquoi choisit-on d’en parler ? Comment vont-elles être présentées ? Et surtout, qu’en restera-t-il lorsqu’enfin vous en prendrez connaissance ? Pour répondre à ces questions, nous avons observé, au mois d’octobre 2014, deux étudiants de Master 1 de l’IHECS en stage d’une semaine au Bruxelles Bondy Blog.   Nous avons suivi l’info de A à Z pour mieux comprendre le menu de votre « gazette ».

 

Mardi 21 octobre : premier briefing. Une petite vingtaine d’étudiants sont réunis dans la salle de rédaction. Ils viennent d’intégrer une des quatre cellules de traitement de l’information du Bruxelles Bondy Blog : Europe, Actualités, Terrain, Communautés (entendez par là les communautés actives sur les réseaux sociaux). Les membres des différents groupes se mettent alors en quête d’une information à traiter selon un premier critère : l’originalité. Pas question ici de copier les médias traditionnels. La viabilité du site d’information nécessite de pouvoir se démarquer.

Dawid et Yassine, intégrés à la cellule « terrain », parcourent les quotidiens de presse écrite et se connectent à internet. Ils s’intéressent à la cybercriminalité. Pour traiter l’info de manière originale, ils veulent choisir un angle différent des grands médias. En remontant à la source des infos, ils espèrent porter un autre regard sur l’actualité.

Dawid et Yassine contactent le CERT (organisme fédéral chargé de lutter contre la cybercriminalité) dans le but d’obtenir plus d’informations sur un projet de coalition annoncé la veille entre des partenaires publics, académiques et des entreprises pour lutter contre cette délinquance. Si tout se passe comme ils l’imaginent, ils devraient collecter quelques statistiques et rencontrer une personne de contact au siège de l’institution. A ce stade, ils projettent de prendre des photos sur place et de trouver des entreprises, victimes de cette cybercriminalité, qui accepteraient de témoigner. Un premier contact téléphonique est pris avec le CERT qui leur conseille d’adresser leurs questions par mail. La journée du mardi s’achève sans même avoir foulé « le terrain ». Mais pas de panique : le « bouclage » de l’article n’est prévu que pour vendredi soir.

Silence radio

Mercredi matin, toujours aucune nouvelle du CERT. Dawid et Yassine n’ont pas le choix, ils doivent trouver un autre angle d’attaque s’ils veulent écrire un article dans les plus brefs délais. Pourquoi, se disent-ils, ne pas réorienter l’info sur la cybercriminalité dont sont victimes les particuliers?   Après tout, cette approche permettrait de toucher un plus large public.

Cette réorientation « forcée » de l’info n’est pas sans conséquence pour le lecteur. L’angle « original », souhaité au départ, va disparaitre au profit d’une information en apparence plus accessible. La rédaction préjuge en outre que ce nouvel article est susceptible de toucher plus de gens que le précédent. Le paramètre de l’audience vient subrepticement de s’inviter au débat pour guider implicitement les choix éditoriaux.

Qui dit « changement d’angle » implique un changement d’interlocuteur. Pour traiter la cybercriminalité chez les particuliers, les deux étudiants décident de s’adresser à la police fédérale. La communication d’information y est extrêmement cadrée. La seule voie d’accès pour entrer en contact avec un policier fédéral expert en la matière, c’est le service de presse. Dawid et Yassine n’étant pas prioritaires dans le flot des demandes journalières adressées au service , ils devront se contenter d’attendre une réponse… qui viendra trop tard.

Que retenir d’un point de vue de l’éducation aux médias ? Collecter des informations originales auprès de sources policières ou d’organismes de sécurité implique de pouvoir s’accorder du temps. Or, cette attitude cadre assez mal avec le flux rapide et sans cesse plus tendu de l’info quotidienne. Le journaliste est donc confronté à un dilemme : sortir de ce flux tendu d’infos pour accéder à l’information souhaitée ou s’insérer dans le jeu de la « circulation circulatoire » de l’info en diffusant les infos qui transitent déjà partout dans les autres médias. Malheureusement, de nombreux organes de presse n’offrent même plus ce choix à leurs journalistes. Résultat, l’originalité disparait au profit d’une information rapidement accessible, lisse et aseptisée.

Jeudi matin, le timing se restreint. Dawid et Yassine sont contraints de passer au plan B : trouver d’autres sujets pour alimenter le « flow » du Bruxelles Bondy Blog. Dawid choisit un sujet brulant : le manque de numéros Inami pour les étudiants de médecine. Yassine s’intéresse lui à la journée sans cambriolage prévue en décembre. Deux thèmes sans aucun rapport avec la cybercriminalité. Ils n’ont évidemment aucune volonté de cacher des infos sensibles au public. Ils se sont tout simplement adaptés aux impératifs du métier qui s’accommode mal d’une « page blanche ».

D’un point de vue éditorial, une question s’impose. Fallait-il sacrifier l’information pour éviter un « trou » dans l’édition ou au contraire s’accrocher au sujet précédent en acceptant de se donner le temps d’accéder à une information plus fouillée ? Bon nombre de sujets sont régulièrement passés sous silence par manque de temps ou d’interlocuteurs. Des choix éditoriaux qui influencent le contenu des journaux à l’insu du public.

Vendredi soir, après plusieurs relectures de la part du rédacteur en chef, Dawid a rendu son article : « La moitié des diplômés en médecine n’auront pas accès à la profession ». Si le contenu est intéressant, il ne se démarque pas pour autant des articles de la presse quotidienne traditionnelle. Son texte a été modifié à de nombreuses reprises. Dawid est frustré.

Le reportage de Yassine, quant à lui, a été recalé (en attendant qu’il y apporte une série de corrections) pour des problèmes de sources et d’écriture. Même si l’on constate parfois un relâchement de la norme dans certains journaux de presse écrite, le journalisme nécessite encore une certaine maîtrise de la langue française. Quant aux informations non étayées, elles n’ont pas leur place dans un média en quête de crédibilité.

Dawid et Yassine l’ont bien compris, le traitement d’une information est loin d’être une tâche facile. Les impératifs économiques, la ligne éditoriale, la concurrence entre médias et les pratiques en vigueur au sein de la profession laissent souvent peu de marge à l’originalité et à l’analyse. L’enjeu pour l’avenir passerait peut-être par une autre manière de travailler, par des choix éditoriaux plus marqués tout en préservant une déontologie et un sérieux journalistique qui font parfois défaut dans certains grands médias.

Nathalie Papleux et  Mozart Mpia

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